Si une certitude doit se dégager du brouhaha médiatique que provoque le duc de Sussex ces dernières semaines (pour ne pas dire, ces dernières années), c'est que le royal rejeton est totalement passé à côté de l'antique devise familiale «Ne jamais se plaindre, ne jamais s'expliquer».
Au fond, pourquoi tant de tapage? Vengeance, ego blessé, amour, argent? Quelles sont les motivations du prince à déclarer la guerre à la monarchie, sa propre famille? On esquisse quelques pistes.
A l'origine, il y a Diana.
Vingt-cinq ans après la disparition tragique de sa mère, le traumatisme pétrit encore le prince Harry. Chaque page de ses mémoires, Spare, est l'occasion d'évoquer cette figure maternelle défiée, érigée en ange déchu, sacrifiée sur l'autel des scoops et des paparazzis.
Bien avant sa disparition, c'est pourtant Diana qui a planté, malgré elle, les graines de la discorde. La princesse de Galles a mis un point d'honneur à éduquer ses fils sur un pied d'égalité. Ne lui en déplaise, ses garçons se construisent sur deux modèles différents: William en parfait petit héritier, Harry en petit rebelle facétieux à la langue bien pendue.
Si Diana met tout en œuvre pour qu'il y ait le moins de différences possibles dans le traitement de ses garçons, elle se heurte à un problème de taille: l'ordre de succession.
Toutes les quelques générations, les Windsor produisent des princes et princesses malheureux. On appelle ça: les «Suppléants». Ou pièces de rechange.
Une non-position. Un rôle indéterminé, ingrat, qui se borne à serrer des mains, sourire... et attendre que son aîné se crashe peut-être, un jour, dans un accident d'avion.
La princesse Margaret, le prince Andrew, le prince Harry: trois générations de cadets, trois royals «mineurs» qui ont peiné à trouver une place dans un système monarchique très cruel, où il n'est pas question de talent, ni de mérite, mais de hasard.
«L'aîné obtient le poste, le second se trouve sans emploi. Pas seulement sans emploi: c'est un adjoint censé patienter, stoïquement, rester disponible, au cas où il y aurait un travail à faire», explique l'expert royal et historien Robert Lacey dans le documentaire William et Harry, les frères ennemis (2022).
Chez les Windsor, l'ordre de succession est sacré. Tout, de la taille des chambres à coucher aux plans de table, est conçu pour vous rappeler votre rang.
Très jeune, le prince William se voit placé aux côtés de sa grand-mère, la reine. Elizabeth II le forge à son image, lui inculque le métier de souverain et sa vision de la royauté. Ils nouent des rapports privilégiés au cours d'entretiens privés, pendant qu'Harry se retrouve relégué en bout de table.
Si son frère peut foncer tête baissée dans un destin tout tracé, promesse d'un duché florissant, d'avantages, de résidences officielles, d'un portefeuille garni, de chevaux de course et d'œuvres d'art, Harry, lui, est condamné à l'impasse.
Trop proche de Charles et William dans l'ordre de succession, trop loin de ses cousins et cousines dépourvus de titre d'Altesse Royale.
«S'il était 30e ou 40e dans l'ordre de succession, il pourrait entrer dans le privé», rappelle le correspondant royal Marc Roche. Dans sa position, impossible de travailler dans une galerie d'art, la décoration d'intérieur ou les relations publiques. Le risque de potentiels conflits d'intérêts est trop important.
Aux yeux de la presse non plus, les deux frères ne sont pas logés à la même enseigne. En vertu d'un contrat qui lie Buckingham Palace aux médias, on laisse l'héritier du trône relativement tranquille. Le rôle de Suppléant implique de faire face à des titres de presse plus durs, plus railleurs.
Dans les années 2000, le vilain petit canard Harry se mue en cible de choix pour les tabloïds. Il subit les assauts répétés des photographes. Ceux-là mêmes qui, selon lui, ont tué sa mère.
Très jeune, Harry développe une détestation viscérale des médias qui frise l'obsession. Il lit ce qui est écrit sur lui et connaît les journalistes par leur nom. Il a des surnoms pour ceux qu'il déteste le plus. Le clic d'un objectif est comme un «pistolet armé» ou quelqu'un qui ouvre la lame d'un cran d'arrêt.
Dans une dispute avec son père et son frère qui conclut son autobiographie, Harry déplore que: «Avec lui, il y avait toujours un mais quand on parlait de la presse: il détestait qu'elle le déteste, mais ô combien il aimait qu'elle l'aime!»
Le Suppléant clame ouvertement son mépris envers la volonté de bonne publicité de sa famille. Il vilipende leur consentement à se prêter au «Jeu», prendre la pose, couper des rubans, répondre aux interviews et aux sollicitations médiatiques, s'offrir au public pour finir sondé et disséqué.
Désormais, comme il le clame à longueur d'entretiens sur CBS ou itv, Harry veut sa revanche. Se poser en «porte-parole du monde», avec une seule mission: «Changer le paysage médiatique au Royaume-Uni».
Autre objectif potentiel du prince le plus bruyant de la royauté? Se réconcilier avec sa famille après des mois de brouille. Au fil des apparitions télévisées, Harry clame son désir de renouer avec son père et son frère. A la condition préalable d'obtenir des excuses pour la manière dont son épouse Meghan Markle et lui-même ont été (mal)traités.
La balle est, conclut-il dans leur camp.
Harry pense-t-il vraiment qu'il peut aboutir à une réconciliation? «Personnellement, je ne vois pas comment Harry et William pourront se réconcilier après cela», confiait un proche au Sunday times peu avant la publication des mémoires fracassantes.
Certains observateurs ne manquent en effet pas de souligner que, malgré ses bonnes intentions, Harry s'efforce d'obtenir la paix «de la manière la moins susceptible de se produire». Le duc de Sussex serait moins préoccupé par une potentielle réconciliation que par une attaque frontale envers la monarchie.
Enfin, n'oublions pas que toute cette surmédiatisation ducale rapporte gros. Très gros.
Depuis leur démission fracassante en mars 2020, Harry et Meghan sont priés de se débrouiller seuls. La firme a coupé les vivres. Sans l'héritage touché par Harry à la mort de sa mère en 1997 - estimé à quelque quatorze millions de francs -, et les honoraires de Meghan en tant qu'actrice, les tourtereaux auraient été bien en peine de financer leur rêve américain.
Un rêve qu'il faut désormais continuer à entretenir, entre la somptueuse villa californienne de Montecito, le service de sécurité, les nounous, le personnel de maison, les jardiniers, le coach sportif et les gestionnaires immobiliers. Le Daily mail a estimé les coûts annuels de la maison, qui compte 9 chambres et 16 salles de bain, à 4,4 millions de livres - près de 5 millions de francs.
Le prince aurait touché un paiement initial de 20 millions de livres sterling pour son autobiographie. Sans oublier les 100 millions de dollars empochés par le couple pour la série Netflix Harry & Meghan, ni le contrat juteux de Meghan pour son podcast sur Spotify.
Qu'il s'agisse d'argent, de sentiments, de prise de revanche ou d'abolition des prétendues structures toxiques du Palais, Harry semble bien décidé à poursuivre son bras de fer contre la royauté. La paix semble mal engagée.
Sans doute parce que la devise du prince, «Je ne sais pas comment le silence est censé améliorer les choses», tranche douloureusement avec celle de sa famille.