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Pourquoi nous trichons tous

Se faire passer pour un pilote de ligne, un pédiatre, un avocat diplômé de Harvard ou détourner 2,5 millions de dollars: Attrape-moi si tu peux (2002), de Steven Spielberg, s’inspire de la vie de l’un ...
Se faire passer pour un pilote de ligne, un pédiatre, un avocat diplômé de Harvard ou détourner 2,5 millions de dollars: Attrape-moi si tu peux (2002), de Steven Spielberg, s’inspire de la vie de l’un des plus grands escrocs de sa génération.Image: AP United Artists
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Nous sommes tous des tricheurs, voici pourquoi

Dans le sport, au job ou en politique: l'actualité dégouline chaque jour d'exemples de tricherie. Notre époque est-elle plus propice à la fraude qu'autrefois? Analyse.
06.11.2022, 11:5306.11.2022, 13:40
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Un plug anal aux échecs. Un anneau vibrant au poker. Des trucages massifs dans des compétitions de danse irlandaise. Des balles de plombs lors d'un tournoi de pêche. Des enveloppes de vote dérobées par un ancien député en Ajoie. Autant de scandales de tricherie qui n'ont pas manqué d'éclabousser l'actualité ces dernières semaines. Des méthodes parfois si ingénieuses (voire tarabiscotées) qu'elles prêteraient presque à sourire.

Une société de la triche

Au fond, la triche est-elle une pratique dans l'ère du temps? Un comportement de plus en plus décomplexé? En tout cas, selon la chercheuse Cinzia Zanetti, aujourd'hui, les motivations ne manquent pas:

«Nous évoluons dans une société où le succès, le prestige, la dominance, le pouvoir sont extrêmement valorisés»
Chercheuse en psychologie sociale à l'Université
de Lausanne (Unil)

A l'école, au travail, dans le sport... nous sommes constamment sous pression et mis en compétition. D'où la tentation très forte de céder aux sirènes de la triche.

«Les sociétés des pays capitalistes sont très centrées sur un ensemble de valeurs de "promotion de soi". Ces valeurs néo-libérales amènent à l’acceptation de la triche, voire à des comportements de triche», décrypte en 2018 le professeur Fabrizio Butera de l'Unil, dans l'émission Dans la tête d'un tricheur.

Une tactique historique

La triche ne date pas d'hier. Pour Yvon Pesqueux, professeur de science de gestion du français au Conservatoire national des arts et métiers, frauder n'est pas l'apanage de notre époque. Les excès ont lieu de tout temps.

Il nous cite un exemple très «17e siècle»: Nicolas Fouquet. Le fringuant ministre des finances de Louis XIV, chargé de récupérer les impôts, en avait allègrement profité pour bâtir son somptueux château de Vaux-de-Vicomte en 1661. «Sauf qu'on ne construit pas un palais de cette dimension sans avoir triché», rappelle Yvon Pesqueux.

Mal lui en a pris: le surintendant des finances s'est fait confisquer ses bien, bannir de France, avant d'être jeté au cachot. Il n'en est jamais ressorti.
Mal lui en a pris: le surintendant des finances s'est fait confisquer ses bien, bannir de France, avant d'être jeté au cachot. Il n'en est jamais ressorti.image: wikipedia.org

La triche, un phénomène donc vieux comme le monde? «Ce qui est nouveau, c’est cette dimension planétaire», précise Yvon Pesqueux. Désormais, la triche s'opère à large échelle et fait la Une des médias.

Tous des tricheurs?

Si la pratique est éternelle, sommes-nous tous condamnés à tricher? Oui. On part de l’idée que tout le monde peut tricher. Il suffit qu'une poignée de facteurs soient réunis pour que n'importe quel individu «ordinaire» se risque à frauder: trop de pression, l'appât du gain, les agissements d'autrui, des justifications suffisantes pour soulager sa conscience ou les normes dans lesquelles on évolue.

Le chercheur Fabrizio Butera énumère pour sa part quatre motivations:

  • La pression à la performance venue de l'extérieur (des parents ou un employeur exigeants, par exemple) et une compétition accrue entre les individus.
  • Le manque de motivation ou d'implication personnelle dans l'action.
  • Le manque de confiance en soi et en ses compétences.
  • L'absence de contrôle et de surveillance.

Des personnalités plus tricheuses que d'autres?

Si certains traits de personnalité peuvent conduire à adopter des comportements douteux, dans l’absolu, il n'existe pas de «tricheurs notoires», des personnes plus promptes à tricher que d’autres. Nous sommes tous des tricheurs en puissance.

Lance Armstrong of Austin, Texas, U.S.A., crosses the finish line to win the professional men's world championship road race in Oslo, Norway, Sunday, Aug. 29, 1993. (AP Photo/Michel Euler)
Lance Armstrong restera gravé dans l'Histoire comme l'un des plus célèbres tricheurs de tous les temps.Image: AP NY

Tout le monde peut saisir ces opportunités en fonction des motivations, des valeurs promues par le contexte et des justifications. D'autant que celles-ci ne sont pas des facteurs innés: elles se construisent en se socialisant avec les autres, précise Cinzia Zanetti.

Un constat partagé par Yvon Pesqueux. Certes, nous sommes tous des tricheurs potentiels, mais: «Au fur et à mesure qu’on avance en âge et qu’on accumule de l’expérience, on va assimiler des valeurs morales susceptibles de limiter la tricherie.»

«Tricher est une aussi un choix individuel, une intériorisation de limites. C’est une question de morale»

Avant de conclure par une autre question, philosophique celle-ci: «Le problème de la triche, c’est qui la qualifie: pendant la Seconde guerre mondiale, la résistance a dû vivre de la triche pour assurer ses petits gains. Trafic d’alcool, vols de cartes d’alimentation…». Tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Ou presque.

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