Un plug anal aux échecs. Un anneau vibrant au poker. Des trucages massifs dans des compétitions de danse irlandaise. Des balles de plombs lors d'un tournoi de pêche. Des enveloppes de vote dérobées par un ancien député en Ajoie. Autant de scandales de tricherie qui n'ont pas manqué d'éclabousser l'actualité ces dernières semaines. Des méthodes parfois si ingénieuses (voire tarabiscotées) qu'elles prêteraient presque à sourire.
Au fond, la triche est-elle une pratique dans l'ère du temps? Un comportement de plus en plus décomplexé? En tout cas, selon la chercheuse Cinzia Zanetti, aujourd'hui, les motivations ne manquent pas:
A l'école, au travail, dans le sport... nous sommes constamment sous pression et mis en compétition. D'où la tentation très forte de céder aux sirènes de la triche.
«Les sociétés des pays capitalistes sont très centrées sur un ensemble de valeurs de "promotion de soi". Ces valeurs néo-libérales amènent à l’acceptation de la triche, voire à des comportements de triche», décrypte en 2018 le professeur Fabrizio Butera de l'Unil, dans l'émission Dans la tête d'un tricheur.
La triche ne date pas d'hier. Pour Yvon Pesqueux, professeur de science de gestion du français au Conservatoire national des arts et métiers, frauder n'est pas l'apanage de notre époque. Les excès ont lieu de tout temps.
Il nous cite un exemple très «17e siècle»: Nicolas Fouquet. Le fringuant ministre des finances de Louis XIV, chargé de récupérer les impôts, en avait allègrement profité pour bâtir son somptueux château de Vaux-de-Vicomte en 1661. «Sauf qu'on ne construit pas un palais de cette dimension sans avoir triché», rappelle Yvon Pesqueux.
La triche, un phénomène donc vieux comme le monde? «Ce qui est nouveau, c’est cette dimension planétaire», précise Yvon Pesqueux. Désormais, la triche s'opère à large échelle et fait la Une des médias.
Si la pratique est éternelle, sommes-nous tous condamnés à tricher? Oui. On part de l’idée que tout le monde peut tricher. Il suffit qu'une poignée de facteurs soient réunis pour que n'importe quel individu «ordinaire» se risque à frauder: trop de pression, l'appât du gain, les agissements d'autrui, des justifications suffisantes pour soulager sa conscience ou les normes dans lesquelles on évolue.
Le chercheur Fabrizio Butera énumère pour sa part quatre motivations:
Si certains traits de personnalité peuvent conduire à adopter des comportements douteux, dans l’absolu, il n'existe pas de «tricheurs notoires», des personnes plus promptes à tricher que d’autres. Nous sommes tous des tricheurs en puissance.
Tout le monde peut saisir ces opportunités en fonction des motivations, des valeurs promues par le contexte et des justifications. D'autant que celles-ci ne sont pas des facteurs innés: elles se construisent en se socialisant avec les autres, précise Cinzia Zanetti.
Un constat partagé par Yvon Pesqueux. Certes, nous sommes tous des tricheurs potentiels, mais: «Au fur et à mesure qu’on avance en âge et qu’on accumule de l’expérience, on va assimiler des valeurs morales susceptibles de limiter la tricherie.»
Avant de conclure par une autre question, philosophique celle-ci: «Le problème de la triche, c’est qui la qualifie: pendant la Seconde guerre mondiale, la résistance a dû vivre de la triche pour assurer ses petits gains. Trafic d’alcool, vols de cartes d’alimentation…». Tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Ou presque.