Beaucoup de personnes ont dans leur entourage au moins une personne décédée à un âge avancé. L'espérance de vie à la naissance en France a fortement augmenté depuis le siècle dernier, à l'exception des deux guerres mondiales et de la pandémie de Covid-19: en 2020, elle était de 79,2 ans pour les hommes et 85,3 ans pour les femmes. Il est courant de dire de ces personnes qu'elles meurent de vieillesse. Mais que se cache-t-il derrière cette expression? Est-ce que ça signifie qu'un organe vital, comme le cœur ou le cerveau, cesse de fonctionner? Est-ce une mort douloureuse, ou, contrairement à la maladie, un accident sans souffrance?
La première figure historique à être morte de vieillesse est Moïse. Dans Vivre avec nos morts, l'autrice et rabbin Delphine Horvilleur raconte cette fin de vie unique. Le prophète hébreu meurt au mont Moab en Jordanie à l'âge de 120 ans, après avoir rencontré son Dieu et vu, sans pouvoir y accéder, sa terre promise [Deutéronome 34.1-12]. «Son œil ne s'était pas affaibli et sa vigueur ne l'avait pas quitté» malgré son grand âge et une vie sans repos. Son décès survient «selon la parole de l'Éternel» et personne n'en saura davantage, puisque le secret se prolonge jusqu'à l'emplacement de sa tombe, sans expertise médico-légale préalable.
Delphine Horvilleur explique que la réponse est «dans un terme du verset»: «Moïse a quitté ce monde, embrassé par Dieu. Et dans ce baiser divin, il a rendu l'âme. […] [L'Éternel] récupère ainsi l'âme de Moïse, de la façon la plus tendre qui soit, et la mieux inspirée. Personne n'a, depuis lors, connu ce traitement de faveur et quitté ce monde dans une pareille embrassade, mais chacun se le souhaite.» Cette mort apaisée, loin de toute souffrance causée par la maladie ou l'angoisse, et sans le spectacle de celle-ci donné à ses proches, –absents lors de son dernier souffle–, est probablement le premier archétype de la mort de vieillesse, mais aussi un mystère tenace pour les exégètes.
Pour la chercheuse en thanatologie Juliette Cazes: «Mourir de vieillesse, ça veut un peu tout et rien dire. Derrière, on a bien souvent des causes uniques ou polypathologiques», c'est-à-dire plusieurs pathologies n'engageant pas le pronostic vital comme l'hypertension, l'insuffisance cardiaque ou respiratoire, ou encore le diabète. «C'est un peu le vieux fantasme de la mort dans son sommeil au chaud dans son lit», comme notre grand-père ayant succombé à un arrêt cardiaque alors qu'il dormait, après un bon dîner en famille, le visage à jamais apaisé.
Ce n'est pas la vieillesse qui a emporté notre aîné mais son cœur qui s'est arrêté de battre, après une vie de labeur et quelques circonstances aggravantes (tabagisme, alcool, séquelles respiratoires liées à la guerre, dépression).
En effet, la vieillesse est un état et non pas une maladie, elle n'entre donc pas dans les causes de mortalité listées par l'OMS, ni dans un rapport d'aucun médecin constatant un décès ou réalisant une autopsie. Ce qui veut dire qu'on ne meurt médicalement pas de vieillesse. Mais elle peut être le catalyseur de problèmes médicaux et/ou sociaux déjà existants avant ce dernier état de vie.
Ainsi, dans le rapport 2013 de l'Observatoire national de la fin de vie intitulé «Fin de vie des personnes âgées» sont abordés deux points incontournables: le handicap et la santé mentale. À travers l'exemple d'Andrée, déficiente intellectuelle et souffrant d'insuffisance rénale, est explicité que «plus encore que pour la population générale, l'espérance de vie des personnes handicapées augmente considérablement, et cela se traduit par l'“avancée en âge” de personnes présentant un grand déficit d'autonomie lié au (poly)handicap, auquel viennent se surajouter des problèmes liés à l'âge et aux maladies. Pourtant, on ne sait presque rien de la fin de vie des personnes handicapées, que ce handicap soit physique, mental ou psychique.»
Les retards ou défauts de prise en charge de la douleur sont imputés à une différence d'expression de celle-ci, révélant le besoin de former les personnels afin de dépasser ce biais validiste.
Autre impensé: celui de la dépression et du suicide chez les personnes vieillissantes. «La dépression ne serait pas repérée chez plus de 40% des sujets âgés de 75 ans et plus, certaines publications estiment à 60-70% la méconnaissance, la négligence ou le non-traitement des états dépressifs chez les personnes très âgées. La dépression est en effet souvent masquée et peu prise en compte, du fait d'un processus de banalisation sociale, qui l'identifie à une sorte “de tristesse légitime du vieillard”», peut-on lire dans le rapport de l'Observatoire national de la fin de vie.
La dépression pèse sur la durée de vie et le risque de passage à l'acte suicidaire, «y compris en Ehpad». Le texte rappelle que «le suicide est l'une des principales causes de décès de la personne âgée, avec le cancer et les maladies cardio-vasculaires. En France, en 2010, 2.873 personnes de plus de 65 ans ont mis fin à leurs jours. C'est près de 30% du total des suicides en France, alors que les plus de 65 ans constituent environ 20% de la population française.» À noter que certains de ces suicides sont considérés comme des morts naturelles.
*Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original.