Les mots sont forts, les phrases ont claqué dans l'air et le plateau de la chaîne française s'est retrouvé comme mal à l'aise: «Citez-moi au monde, un acteur ou une actrice (réd: homosexuel) qui fait une grande carrière? Il n'y en a pas.»
Ces paroles sont celles de Muriel Robin, l'actrice française ouvertement homosexuelle s'est lâchée sur le plateau de Quelle Epoque!, sur France 2, a donné un grand coup de pied dans la fourmilière et laissé des dentiers grincer:
Affaire classée pour la comédienne de 68 ans, la parole gorgée de colère (ou de rancoeur): «J'ai pleuré tous les jours les larmes de mon corps. Je vais bien, c'est fini, c'est classé», en guise de conclusion.
Les premières critiques n'ont pas tardé à fuser sur les réseaux sociaux. Sur France 5, l'acteur Dominique Besnehard, sur le plateau de C à vous, répondait à son ex-protégée:
L'ancien agent poursuivait et confessait qu'il était peut-être plus difficile pour les hommes homosexuels de se faire une place. «Plusieurs fois, certains producteurs m'ont dit: ah non, ce n'est pas possible».
On a beau critiquer la comédienne et humoriste, lui confronter un hypothétique manque de talent, une aigreur au vu de l'absence de proposition, mais elle soulève une problématique qui a le don de faire réfléchir. Car le maintien dans le placard est tout à fait perceptible. Les premiers détracteurs parlent de Jodie Foster dont la carrière à Hollywood est exemplaire. Mais faut-il rappeler que l'actrice américaine a mis beaucoup de temps – en 2013 – pour faire son coming-out.
Olivier Pry, interrogé sur BFMTV, osait même dire que le monde du cinéma est «toujours à l'époque de Cary Grant».
💬 "Hélas, elle a raison (...), il y a une homophobie non dite dans le cinéma"
— BFMTV (@BFMTV) September 18, 2023
Olivier Py réagit aux propos de Muriel Robin pic.twitter.com/G3kzppsJzJ
Cette homophobie «non-dite» est encore prégnante, celle qui avait vampirisé l'existence de Rock Hudson, vivant avec cette chape de plomb permanente au-dessus de la tête. «C'est l'ancien temps», coupait Christophe Dechavanne lors de l'émission. Sauf que rien ne change comparé à l'époque des fifties, celle d'un James Dean obligé de taire son homosexualité quand commença la chasse aux communistes et homosexuels ordonnée par le sénateur Joseph McCarthy.
L'icône de A l'est d'Eden et de La Fureur de vivre était coincée au bras d'une Liz Sheridan pour couper court aux rumeurs. Dominique Besnehard disait même que dans le cinéma français, les acteurs se promenaient avec des «caches-tapettes» (des copines bienveillantes).
Malgré les années et les époques, le puritanisme des hautes sphères du cinéma semble persévérer. Le Time Magazine décrivait le cas de Luke Evans, qui fait écho aux propos de Muriel Robin. L'acteur anglais a également dû faire face à la difficile exposition de son homosexualité. Alors qu'il portait le film Dracula Untold en 2014, Evans a vu son orientation sexuelle tue par la production.
Surtout qu'en 2002, l'acteur britannique ne s'en cachait pas, refusant de rester dans le placard, et clamait dans une interview son orientation. Mais une fois la machine hollywoodienne lancée, comme par magie, l'acteur a changé de discours, refusant de commenter son homosexualité.
Comme l'écrivait l'hebdomadaire américain, Evans fait partie d’une industrie où, mis à part de rares contre-exemples comme celui de Neil Patrick Harris, «l’homosexualité constitue un inconvénient majeur pour les futures étoiles du cinéma».
Certes, cette discrimination reste difficilement vérifiable, mais le cas de Luke Evans est éloquent et donnerait raison à Muriel Robin. Et ce malgré la présence croissante de personnages LGBT, il persiste un plafond de verre qui résiste. Dans le Hollywood Reporter, le réalisateur de Love, Simon Greg Berlanti a récemment dénoncé «l'homophobie internalisée» dans le cinéma américain.
Tout comme le grand écran américain, le cinéma français est victime de cette frontière (installée par les studios) qui encouragerait les acteurs ou actrices à rester dans le placard. Une étude faite par le collectif 50/50 révélait que la très faible proportion de personnages LGBTQIA+ dans les films français. Avant de conclure, l'orientation sexuelle est connue pour 82% des personnages principaux, et seuls 5% d'entre eux sont homosexuels ou bisexuels, et ils sont «fortement stéréotypés».
Mais si, pour lui, Muriel Robin dissuade des apprentis-comédiens à tenter l'aventure s'ils sont homosexuels, Dominique Besnehard parlait d'une prise de parole salvatrice: «Ce qu'elle fait là est bien. Elle va faire avancer les choses», déclarait-il dans l'émission en ligne BuzzTV.