Mardi 7 mars, le Conseil national a décidé de ne pas retirer l'avortement du Code pénal suisse. En clair, en 2023, cet acte reste officiellement illégal dans notre pays.
Le même jour, le Conseil des Etats s'est quant à lui prononcé sur la redéfinition du viol, acceptant notamment d'intégrer l'état de sidération (lorsque la personne est incapable de réagir). Elle restera toutefois basée sur le refus: pour que le viol soit reconnu et condamnable, la victime doit s'y opposer, verbalement ou non verbalement. Cette définition est en opposition à la solution du «seul un oui est un oui», basée quant à elle sur le consentement de toutes les parties impliquées.
Deux décisions prisent la veille du 8 mars, Journée internationale du droit des femmes, qui illustrent la réticence encore présente chez certains parlementaires lorsqu'il s'agit d'égalité des genres. Explications.
Sur Twitter, Santé sexuelle suisse a réagit au maintien de l'avortement dans le Code pénal:
#Initiative parlementaire 22.432 rejetée : déception face à cette décision peu courageuse. Nous continuerons à nous engager pour que les obstacles à l’accès à l’#avortement soient supprimés. Communiqué de presse 👉https://t.co/SEG3JD3nFM pic.twitter.com/RNA2DIjTQ9
— Sexuelle Gesundheit Schweiz/ Santé Sexuelle Suisse (@SGCH_SSCH) March 7, 2023
Léonore Porchet (Verts/VD) est à l'origine de cette initiative (déposée en juin 2022). Citée par la RTS, elle réagit à la décision du national et regrette «qu'aujourd'hui encore, les personnes concernées soient culpabilisées pour leur décision ou subissent des pressions pour renoncer à un avortement».
Noëmi Grütter, co-présidente de Santé sexuelle suisse, affirme quant à elle que la pénalisation de l'avortement ne correspond plus à la réalité en Suisse. Pourquoi? Premièrement, car selon le Code pénal, les personnes concernées doivent se justifier en invoquant une situation de détresse pour avoir recourt à cette procédure. «Une personne qui souhaite avorter n'est pas forcément en situation de détresse», explique-t-elle. «Elle n'a peut-être simplement pas envie d'avoir un enfant, point». Et d'ajouter:
Secondement, aucun avortement n'a été pénalement condamné depuis 20 ans. Un constat qui amène Santé sexuelle suisse à se questionner sur la pertinence de son maintient dans le Code pénal. Yves Nidegger (UDC/GE) justifie toutefois:
Noëmi Grütter ne se décourage pas pour autant, et pour cause: l'initiative n'a été rejetée que de 99 voix contre 91, avec 6 abstentions. Elle espère qu'un jour, l'avortement (dans un délai de 12 semaines) sera inscrit dans une loi sur la santé sexuelle, par exemple.
«Une partie du corps médical et de la population perçoit encore cette intervention comme illégale. Elle l'est à priori, puisqu'elle figure toujours dans le Code pénal», rappelle-t-elle. Une image qui empêcherait de nombreuses personnes d'y avoir recours, et qui offrirait à certains professionnels de la santé un argument pour ne pas la pratiquer.
Toujours sur Twitter, c'est Amnesty International qui s'est cette fois-ci exprimée sur la modification du droit pénal sexuel:
1/2 Après la décision du Conseil des États sur le droit pénal sexuel, nous espérons qu'il adviendra une plus grande justice pour les personnes concernées par la violence sexualisée avec la solution du «Non, c'est non» qui inclut désormais l'exploitation d'un état de choc. pic.twitter.com/RA3q4UKVhp
— Amnesty Suisse (@Amnesty_Suisse) March 7, 2023
Noëmi Grütter s'est engagée dans la campagne en faveur de la solution «seul un oui est un oui» aux côtés de l'ONG. Comme d'autres de ses homologues (les conseillères nationales Tamara Funiciello (PS/BE) ou Léonore Porchet (Les Verts) notamment), elle est satisfaite de cette redéfinition du viol, même si, selon elle, les parlementaires ne sont pas allés jusqu'au bout.
Désormais, le refus exprimé par la victime pourra être implicite comme explicite, verbal ou non verbal. La notion de sidération permettra quant à elle de condamner l'agresseur, même si la victime n'était pas en mesure de dire «non» d'une manière ou d'une autre.
Qu'en sera-t-il toutefois face à d'autres types de situation, par exemple lors d'agressions sexuelles par surprise? Noëmi Grütter répond:
Et de préciser: «Dans la pratique, cette modification de la loi se rapproche énormément du "seul un oui est un oui". Par exemple: une simple main mise devant la personne pourrait être considérée comme un refus.»
Deux autres améliorations vont également être apportées au Code pénal.
La première stipulera que toute pénétration, peu importe sa nature, peu importe le genre des personnes impliquées, sera considérée comme un viol. La seconde obligera systématiquement les agresseurs sexuels à suivre un programme de sensibilisation. Car comme l'explique Noëmi Grütter: «La majorité d'entre eux ont tendance à récidiver.»
Ce dernier point, qui doit encore être implémenté dans la pratique, permet de pointer du doigt la responsabilité de l'agresseur (et non plus de la victime) et offre désormais une plus grande marge de manœuvre lors de la prévention sur la notion de consentement et de violences sexuelles.
Si le refus de l'initiative sur la dépénalisation de l'avortement déçoit Noëmi Grütter, la réforme du droit pénal sexuel démontre que le travail de fond déployé depuis 4 ans, notamment par les milieux féministes, porte ses fruits et fait changer les mentalités. D'après elle, une telle avancée n'aurait jamais été possible par le passé:
Elle rappelle que la lutte pour l'égalité doit continuer et que les hommes ont un rôle à jouer: «Ils doivent écouter, accompagner, faire entendre leur voix et se rallier aux causes en faveur des droits des femmes».
Selon ses dires, la jeune génération se montre toutefois plus en avance et ouverte sur les questions d'égalité.