Les spécialistes l'affirment depuis longtemps: le monde fait face à une «épidémie d'obésité», et la Suisse n'est pas épargnée, au contraire. Dans notre pays, la part de personnes atteintes d'obésité est passée de 5 à 12% en 30 ans, selon les dernières données de la Confédération. Le surpoids et l'obésité touchent près de la moitié de la population.
«L'obésité est une maladie chronique, bien qu'elle ait longtemps été considérée comme un problème de style de vie ou un problème esthétique», souligne Nathalie Farpour-Lambert, pédiatre, spécialiste de l’obésité et médecin associée aux HUG.
La récente arrivée sur le marché suisse de nouveaux médicaments a remis la question sur le devant de la scène. D'autant plus que ces substances - les fameuses injections amaigrissantes - ont parfois été présentées comme une solution miracle pour perdre du poids. Leur usage assumé de la part de plusieurs célébrités a également fait couler beaucoup d'encre.
A l'heure actuelle, deux médicaments pour la régulation du poids sont autorisés en Suisse: le Mounjaro et le Wegovy, lequel a remplacé un autre produit, appelé Saxenda. Les chiffres disponibles racontent un succès fulgurant. Un rapport de l'Observatoire suisse de la santé (Obsan), diffusé début juin, fait notamment état d'une «forte hausse» en 2024. En cause, nous indique-t-on, l'arrivée du Wegovy, remboursé depuis le printemps de l'année dernière par l'assurance maladie.
Selon une étude de l'Université de Zurich, les prescriptions de piqûres amaigrissantes par habitant en Suisse devancent même celles des Etats-Unis, où ces produits font pourtant l'objet d'une publicité très offensive.
«La reconnaissance de l'obésité en tant que maladie chronique, le remboursement de ces nouveaux médicaments et l'information aux patients ont forcément amené à une augmentation de leur utilisation», réagit Nathalie Farpour-Lambert. Pour la spécialiste, c'est une «bonne nouvelle»:
Les résultats sont prometteurs, mais il ne s'agit pas d'une solution miracle, prévient-elle. Ces médicaments doivent être intégrés dans un processus plus large, portant aussi bien sur l'activité et la condition physiques que sur l'équilibre alimentaire. «Personnellement, je ne commence jamais un traitement pharmacologique si tout le reste n'est pas en place», complète Nathalie Farpour-Lambert.
Une prise en charge psychologique peut également se révéler nécessaire. «Les personnes atteintes d'obésité peuvent souffrir d'anxiété, de dépression, et sont stigmatisées en raison de leur condition», note-t-elle. «Parfois, ces problèmes sont une conséquence de l'obésité, et pas sa source primaire».
Il faut savoir que les conditions pour accéder à ces médicaments sont très strictes en Suisse. Pour être éligible au Wegovy, le patient doit avoir un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 ou un IMC compris entre 27 et 30 avec au moins une maladie concomitante liée au poids. A titre de comparaison, chez les adultes, un poids normal équivaut à un IMC de 18,5 à 25.
Cela n'a pas empêché que des médicaments aient parfois été remis de manière non contrôlée à des patients par des non-spécialistes. «Malheureusement, il y a eu des dérives», déplore Nathalie Farpour-Lambert, qui pointe l'inefficacité de ces approches: «Si tous les piliers ne sont pas en place, le traitement ne marche pas, ou juste pendant quelque temps», insiste-t-elle.
De plus, l'assurance maladie ne rembourse le Wegovy qu'une seule fois, pendant une période de trois ans. Si les résultats ne sont pas satisfaisants après six mois, l'assurance ne paye plus. «Les patients n'ont qu'une fenêtre de tir, et il faut tout mettre en œuvre pour que cette tentative puisse fonctionner», complète la spécialiste.
L'utilisation de ces injections n'est pas uniforme au sein de la population. Selon les données de l'Obsan, les femmes âgées de 40 à 60 ans sont les personnes ayant le plus recours à ces médicaments en Suisse. Cela ne surprend pas Nathalie Farpour-Lambert:
«De plus, les femmes sont plus attentives à leur image corporelle, et tendent à réagir un peu plus vite que les hommes en cas de surpoids», ajoute la médecin. Cela expliquerait pourquoi elles sont surreprésentées dans les chiffres de l'Obsan, alors que l'obésité touche davantage les hommes en Suisse.
D'autres différences importantes émergent du rapport, notamment au niveau géographique. Le nombre de doses journalières pour 1000 habitants varie énormément d'un canton à l'autre. L'Obsan en a recensé huit au Tessin et à Neuchâtel, contre deux en Appenzell Rhodes-Intérieures ou dans les Grisons. La moyenne nationale se situe autour de 5.
Selon Nathalie Farpour-Lambert, ces écarts ne signifient pas qu'il y ait davantage de personnes obèses dans un canton ou un autre. Ils reflètent plutôt la question de l'accès aux soins. «Dans certaines régions, il n'y a pas de spécialistes», affirme-t-elle. «Dans d'autres, comme à Genève, les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous chez un endocrinologue ou dans un centre de l'obésité sont de trois à six mois». Et la spécialiste de conclure: