Quinze mois. De juin 2017 à septembre 2018. Avant et surtout après cette misérable fourchette temporelle, personne n'a vu publiquement cette fillette baptisée Lil Tay, ou «Lil Gucci Taylor», ou «Lil Tay Cosgrove», ou «Lil Tay Jetski», ou «Lil Tay Tervali». Sur Instagram, celle qu'on pensait devoir appeler Claire Hope à la ville (mais qui semble plutôt répondre au nom de Tay Tian) a changé vingt fois de pseudonyme.
C'est plus que le nombre de mois d'activité en ligne de cette célébrité mort-née.
Quinze petits mois de poses lascives, de fontaines à billets verts, de bolides rutilants et de grossièretés piochées dans le dictionnaire du hip-hop. Un bullshit monumental qui avait permis à «la plus jeune vantarde du siècle» de capturer l'attention de la totalité des grands médias mainstream. Puis, plus rien.
On la disait vaguement en danger. Manipulée par sa famille. On est très vite passé à autre chose.
Mercredi, le monde entier l'a cru morte. Ce même monde qui, une minute avant la vraie-fausse publication de son vrai-faux décès, avait archivé jusqu'à son existence.
C'est le feuilleton que personne n'attendait, à quelques coups de soleil de la fin des grandes vacances. Lil Tay, supposément mineure, supposément riche, supposément piratée, supposément «traumatisée» par sa mort, supposément maltraitée par son frère, ses parents et l'un ou l'autre de ses 1002 managers, agents ou PDG.
Lil Tay, supposément morte, supposément vivante.
La seule chose que l'on sait de ce phénomène vaporeux, c'est qu'il repose sur un fantasme d'enrichissement qui va bien au-delà de sa petite personne et qui n'a, aujourd'hui, plus grand-chose à voir avec ses gesticulations motivées par les likes. Au fond, ce ne serait pas la première fois qu'une enfant fait «la fierté», comme disait sa mère sur ABC, d'un entourage qui flaire le pognon facile.
Cela dit, ce n'est pas courant de mourir sur Instagram et de ressusciter dans la presse à scandales. A propos, qui gère désormais son compte Instagram, inactif depuis depuis cinq ans? Dans les rares interviews qu'elle offrait en 2018, avec ou sans maman à ses côtés, Lil Tay jurait se démerder toute seule. Juste avant son silence radio, sa biographie disait pourtant le contraire. Légalement, il est interdit d'ouvrir un compte avant l'âge de 13 ans. Mais internet s'en fiche éperdument de la loi.
En a-t-elle pris le contrôle le jour de son anniversaire?
D'ailleurs, qu'en est-il de sa véritable date de naissance? Mmh.
Aujourd'hui, il est impossible de s'assurer que le communiqué de presse qui l'annonce bien vivante, pondu près de 24 interminables heures après sa «mort», par «un représentant de Lil Tay», a véritablement été envoyé par «un représentant de Lil Tay».
Une déclaration indirecte qui ne permet donc toujours pas d'affirmer qu'elle est saine et sauve.
De tels récits, louches et à rebondissements, intentionnels ou non, l'actualité en regorge. Du chef de l'Etat-major russe Valeri Guerassimov, à la tenniswoman chinoise Peng Shuai, la disparition expresse de personnalités, souvent issues de pays en froid avec la démocratie, sait tenir le public en haleine.
Quand on veut rassurer tout le monde et prouver que «tout va bien», il suffit d'enregistrer et de publier une vidéo suffisamment détaillée, pour permettre son authentification. Concernant l'huile de Poutine et la star de la balle jaune, le chemin fut semé d'embûches (politiques).
Si Lil Tay ne s'est pas mise en scène pour renaître, comme elle sait si bien le faire, il y a une sérieuse raison. Probablement la même qui l’a retenue de rectifier la mauvaise nouvelle immédiatement.
Et cette raison n'est pas diplomatique.
Soit elle est morte, soit on lui interdit de se montrer, soit tout cela fait partie d'une stratégie de communication plutôt macabre. Sans flirter avec les thèses fumeuses, il n'y a guère d'autres explications. Etant donné qu'entre deux gros mots, la petiote n'a toujours causé que de money et de work hard, il est probable que les projets qui se nichent derrière sa lucrative existence demandaient un violent coup de projecteur.
Et quoi de plus efficace qu'une réincarnation pour qu'un nom fasse six fois le tour du globe en quelques heures.
A l'époque, lorsqu'on la questionnait sur ses activités, Lil se vantait d'un business de conférencière «très florissant». Elle aurait aussi vendu des «voitures exotiques», comme cette «Jaguar», qui est «la première voiture vendue, enfin je crois, je suis pas sûre, on s’en fiche», crânait Lil dans une interview sur YouTube, en 2018. Du flan, bien sûr, mais ça fait partie du personnage. Il faut savoir qu'elle prétend aussi avoir quitté Harvard parce qu'elle «a déjà réussi sa vie à neuf ans». A l'été 2018, Business Insider estimait sa fortune à 500 000 dollars, engrangée grâce à différents sponsors.
Sa mère, moins funny et sans doute plus au fait de la loi, a toujours poliment refusé de dévoiler le véritable gagne-pain de la famille, depuis le succès de sa fille. Alors qu'elle fut la gosse la plus exposée d'internet, et hormis les allégations de manipulation de la part de son entourage, rien ne permettait de percer à jour son véritable quotidien. Tout était discret, détourné, gonflé ou caché.
Et ça tombe plutôt bien puisque que crypto est un préfixe qui signifie «caché». C'est aussi une monnaie moderne qui peut rendre très riche et envoyer un paquet de monde en prison. Quelques heures après la vraie-fausse annonce du décès de cette crypto-girl sur Instagram, son nom apparaissait sur une nouvelle monnaie fraîchement déployée. Une erreur? C'est ce que voudrait insuffler l'ancien manager de Lil Tay, un certain Harry Tsang.
Le jeune homme, une personnalité d'internet «spécialisée dans le marketing viral», bûche depuis plusieurs mois sur une monnaie qui porte le nom (et le visage) de son ancienne protégée.
Selon Rolling Stone, cette monnaie a bien été enregistrée par cette «personnalité d'internet» et son site, l'espace de quelques heures, renvoyait à celui de Lil Tay Token, dont il est effectivement le PDG. Le compte Twitter de la société a été contraint de publier une précision qui ne précisait rien, hormis qu’ils semblent très embarrassés et que Harry Tsang en est le patron.
Quelques minutes seulement après la mise en ligne, par TMZ, du rectificatif envoyé par le fameux «représentant de Lil Tay», le site de Harry était soudain indisponible. Or, selon le site Bit Times, véritable bible des cryptos, la monnaie a bien été lancée dans la nuit du 10 août, soit quelques heures après la «mort» de la starlette.
Pour la petite histoire, Harry Tsang est l'un des premiers à ne pas avoir été en mesure de confirmer ou non que Lil Tay était bien décédée. C'est lui aussi qui a mis en garde les médias d'un possible coup monté dans le but de «faire de l'argent illégalement». Par qui? Pourquoi? Son frère? Sa mère? Un gang de hackers? Alors que ses mots semblent dire que lui et Lil Tay c'est du passé, difficile d'imaginer qu'elle ne soit pas directement impliquée dans le business.
En somme, ils affirment tous aujourd'hui être les victimes d'un gigantesque piratage. Peut-être. Mais après avoir joué avec la vie d'une enfant de 9 ans, quelqu'un a joué avec la mort d’une ado de 16 ans. Dans les deux cas, c’est l'argent qui mène cette danse funèbre. Comme on dit dans les polars, ça sent pas bon. Si Lil Tay est vivante, sa carrière est définitivement terminée.
Si elle est vivante. Car, depuis cinq ans, y compris durant sa mort, elle n'est jamais réapparue, elle ne s'est plus exprimée de ses propres moyens.
Les internautes sont connus pour être crédules et parfois cruels, mais ils détestent qu'on les prenne pour des cons.