Société
Cinéma

Visions du Réel: elle se filme sans voile en Iran et raconte

En 2023, Elahe Esmaili se rend pour la première fois en Iran sans hijab. Un choix documenté dans son film «A Move», à voir à Visions du réel. Rencontre
Elahe Esmaili à Mashhad, en Iran, lors du tournage du film A Move.Image: A Move

Elle s'est filmée sans voile en Iran: «J'étais terrifiée. Je tremblais»

En 2023, la réalisatrice iranienne Elahe Esmaili se rend pour la première fois dans sa famille en Iran sans hijab. Un choix reflétant son envie de liberté qu'elle documente dans son film A Move présenté aux Visions du Réel. Rencontre à Nyon.
18.04.2024, 18:4818.04.2024, 20:15
Plus de «Société»

Les cheveux courts, en t-shirt, Elahe Esmaili s'apprête à rejoindre ses parents en Iran pour les aider à déménager avant de passer les vacances de l’Aïd en famille. Nous sommes en 2023 et pour la première fois la cinéaste se présente devant ses proches sans hijab. Un tournant qu'elle documente dans son dernier film A Move, diffusé en avant-première mondiale mardi 16 avril au Festival international de cinéma Visions du Réel à Nyon. Une seconde projection est prévue ce vendredi à 11 heures.

Pour rappel, la répression à l'encontre des femmes qui ne portent pas le voile s'est renforcée en Iran depuis la révolution déclenchée par la mort de Mahsa Amini, 22 ans, en septembre 2022. Elle avait été arrêtée par la police des mœurs pour port d'une tenue non conforme aux normes de la République islamique. Elle décédera quelques jours après son arrestation.

Pourquoi avoir décidé de faire ce film?
Elahe Esmaili: Pour plusieurs raisons. Je pense que le port du voile est un aspect important du mouvement Femme, Vie, Liberté (réd: un slogan politique repris lors des manifestations de septembre 2022) et qu'il est donc nécessaire d'en parler, notamment pour ouvrir le dialogue. Je souhaitais également partager mon expérience avec les femmes en Iran et ailleurs dans le monde qui se battent pour leur liberté, afin qu'elles sachent qu'elles ne sont pas seules. J'ai l'espoir que cela en encourage d'autres. Et puis, je pense que l'un des aspects que j'aborde dans le film n'est pas visible dans les médias.

Elahe Esmaili, réalisatrice.
Elahe Esmaili, réalisatrice du film A Move.

Lequel?
Le combat autour du port du voile se mène également au sein des familles et non pas seulement dans les rues. En tant que femmes, nous devons nous confronter aux membres conservateurs et religieux de notre famille, à la police des mœurs dans l'espace public et au gouvernement. Je crois, toutefois, que cela peut changer plus rapidement et facilement si nous opérons une transformation à l'intérieur de la sphère familiale.

Découvrez la bande-annonce:

Vidéo: youtube

Dans le film, nous voyons que les femmes ont peur des hommes et de leur réaction lorsqu'ils découvriront que vous ne portez plus le hijab. Mais en fin de compte, ils n'ont pas l'air dérangés par ce choix.
J'ai filmé ma sœur qui raconte son expérience avec mon père il y a 40 ans, une période où il était très restrictif. Dans le film, on le voit tel qu'il est aujourd'hui. Il a changé et je pense que c'est grâce à la résistance de ma sœur et de sa génération ces quarante dernières années.

«Désormais, l'unique chose qui demeure est la peur»
Elahe Esmaili, réalisatrice du film A move

La peur de la réaction des hommes face à une femme qui décide de ne pas porter le voile. Et ce, même si certaines mentalités ont évolué. Ma mère, par exemple, redoute encore la réaction de mon père, parce qu'ils n'ont jamais ouvertement parlé du fait de lâcher-prise et de laisser vivre les femmes. Je pense qu'il manque un dernier coup de pouce pour que ces craintes disparaissent. Ma mère n'est pas contre moi, elle a simplement été éduquée ainsi par son père et son mari et on lui a dit qu'il fallait faire de même avec ses filles. Elle a simplement besoin de voir que tout se passe bien pour moi. Mais toutes les familles ne sont pas aussi tolérantes que la mienne.

A Move
Elahe Esmaili et sa famille en Iran.Image: A Move

C'est-à-dire?
Nous faisons partie de la classe moyenne normale – ce qui est le cas d'environ la moitié de la population. Nous lâchons prise face à la résistance des femmes, notamment depuis la révolution de septembre 2022. Une partie des Iraniens avait toutefois déjà opéré ce changement de mentalité bien avant cette période. C'est le cas de beaucoup de mes amis. D'autres familles, en revanche, ne sont pas aussi ouvertes et auraient réagi différemment. J'étais d'ailleurs préparée à ce scénario lorsque je me suis présentée pour la première fois sans voile devant mes proches.

Vous étiez prête à vous battre.
Oui.

«J'étais tout de même convaincue à 90% que les choses se passeraient bien, que nous allions réussir à discuter et à gérer la situation»

C'est ce qui est arrivé.
Comme je l'avais prédit!​

A Move
Elahe Esmaili sans voile en compagnie de sa mère.Image: A Move

Qu'en est-il de l'extérieur? Depuis les révoltes de 2022, la répression s'est renforcée à l'encontre des femmes qui ne portent pas le voile dans les lieux publics.
A l'extérieur, les choses sont totalement différentes. Dans le film, il y a une scène dans laquelle je suis dans les rues sans hijab. Une personne s'approche de moi et me met en garde contre la police des mœurs qui me cible. Cette séquence montre deux choses. Premièrement, le fait que nous nous soutenons en Iran et qu'il y a une solidarité entre nous. Secondement, que l'extérieur reste très dangereux. Les femmes peuvent être arrêtées, emprisonnées, recevoir des amendes élevées qu'elles ne pourront pas payer, être fouettées.

«Malgré ces risques, certaines Iraniennes choisissent de résister et de sortir sans hijab»

Est-ce que vous aviez peur lorsque vous sortiez sans voile dans l'espace public?

«J'étais terrifiée. Je tremblais la plupart du temps»

Est-ce que beaucoup de femmes sortent sans voile?
Cela dépend des villes. A Téhéran par exemple, oui. Dans ma ville natale, considérée comme sacrée, beaucoup moins. Cela ne veut pas dire que les femmes sont contre la liberté. Mais elles ne peuvent pas se permettre de mener ce combat pour différentes raisons. Les gens ont peur. Ils risquent de se faire tuer.

Est-ce que la présence de la police des mœurs est forte?
A nouveau, cela dépend. Il y a quelques semaines par exemple, le Parlement a organisé des élections. Le gouvernement voulait inciter les gens à venir voter et s'est donc montré indulgent envers la population. En revanche, depuis les attaques de drone de ce samedi 13 avril contre Israël, il y a eu des arrestations massives de femmes, car l'attention du public était focalisée ailleurs. Lorsque j'ai tourné A Move en 2023, j'ai été avertie une quarantaine de fois par des policiers dans la rue simplement parce que je marchais sans hijab, en particulier dans des endroits clés comme le métro.

«J'ai également failli rater un vol parce que je ne portais pas de hijab»

(Réd: depuis samedi 13 avril en effet, la police iranienne a annoncé le renforcement de ses contrôles sur le port obligatoire du voile par les femmes dans la rue, rappelle notamment la RTS).

Est-ce qu'il y a eu un moment spécifique où vous avez décidé d'arrêter de porter le hijab?
J'ai arrêté de le porter lorsque je suis partie étudier au Royaume-Uni en 2019. Lorsque je vivais en Iran, je ne le portais pas à l'intérieur avec mes amis. Dans le film en revanche, c'est la première fois que je m'affiche en Iran en public sans voile et que je me présente ainsi à ma famille.

A Move
Elahe et sa cousine à Mashhad. C'est l'une des premières fois qu'elles apparaissent en public sans hijab.Image: A Move

Comment vous êtes-vous sentie?
Incroyablement bien. C'était super d'être comme j'ai toujours voulu être en compagnie de ma famille. Et c'était génial que d'autres femmes me voient ainsi. C'est ce qui m'a procuré le plus de joie. Tout ce stress et cette anxiété que j'ai ressentis ont abouti à un résultat. Je souhaitais atteindre quelque chose et c'est chose faite.

Vous avez donc arrêté de porter le voile bien avant la révolution de 2022.
Oui. Ce qui a changé en septembre 2022 c'est le fait de ne plus porter le voile en public. Le mouvement Femme, Vie, Liberté avait pour but de montrer qui nous étions. Comme moi, une partie des femmes ne portaient pas le hijab à l'intérieur avec la famille et les amis.

«Mais nous voulions être nous-même également à l'extérieur»

Est-ce que vous avez vu une différence en Iran depuis 2022?
Je vois une énorme différence! Avant, il fallait toujours avoir quelque chose sur la tête, même si parfois le voile pouvait tomber. La police des mœurs était présente, nous risquions un avertissement, mais ce n'était jamais aussi massif qu'aujourd'hui. Il y avait également beaucoup moins de femmes dans la rue sans hijab car nous ne voulions pas avoir de problèmes. Désormais, nous voyons beaucoup de filles et de femmes courageuses prêtes à s'attirer des ennuis pour ce changement. J'admire leur bravoure et leur courage.

«Nous avons gouté à la liberté et à la joie de marcher dans les rues telles que nous sommes»

Le régime n'a donc pas réussi à mater la révolte?
Le régime a réussi à gérer les protestations dans les rues, mais la révolution avait pour but d'engendrer un changement qui a bel et bien eu lieu. L'état d'esprit des gens a changé et il n'y a pas de retour en arrière possible. Peu importe le prix à payer. Je pense que les femmes vont continuer à se battre. Les gens ont plus peur qu'avant, mais cela ne les changera pas pour autant.

A Move d'Elahe Esmaili est diffusé ce vendredi 19 avril à 11 heures au festival Visions du Réel à Nyon.

Des manifestations, en Iran et ailleurs
1 / 11
Des manifestations, en Iran et ailleurs
Des Iraniennes tiennent des photos de Mahsa Amini, les mains peintes en rouge, lors d'une manifestation devant le consulat d'Iran suite à la mort de Mahsa Amini, à Istanbul, en Turquie, le 17 octobre 2022.
source: epa / sedat suna
partager sur Facebookpartager sur X
Ceci pourrait également vous intéresser:
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
Voici les meilleures mesures contre l'alcool et les cancers
Une récente étude a permis de définir les politiques publiques les plus efficaces pour faire baisser la consommation d'alcool et les cancers qui lui sont liés.

Les mesures de santé publique les plus efficaces pour faire baisser la consommation d'alcool et le nombre de cancers liés sont la hausse des taxes, la limitation ou l'interdiction de la vente et de la publicité, selon une vaste étude. En 2020, la consommation d'alcool a été à l'origine de 741 300 nouveaux cas de cancer dans le monde.

L’article