Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux, narrateur de la France profonde et défenseur des petites gens. Il est un lettré respecté des classes populaires qui devrait, selon toute vraisemblance, refuser de céder aux tentations de la haute société et du fric qui coule à n'en plus savoir qu'en faire, comme Mathieu l'écrivait.
Mais voilà que la «princesse» Charlotte Casiraghi, fille de Caroline de Monaco, a fait chavirer le Lorrain de 45 ans, lui, le romancier de la France désindustrialisée. Mathieu est la figure de la gauche, prompt à dénoncer les abus des politiques économiques libérales, mais désormais dans la peau du traître, dans les griffes de la jet-set monégasque.
Les quotidiens français n'en croyaient pas leurs yeux et leurs plumes ont transpiré des lignes et des chroniques. La presse people a laissé place à la presse traditionnelle (de gauche principalement), abasourdie par la nouvelle, qualifiée même de «gag littéraire définitif de l’année 2024» par son collègue écrivain Aurélien Bellanger, dans Le Nouvel Obs.
Des fans éplorés, titrait Le Monde, et Libé s'étranglait, écrivant qu'il lui sera difficile à présent de vendre son discours anti-capitaliste.
Car la confiance est rompue et c'est désormais la grande équation sociale, et très française, qui est démoulée dans les canards: le fameux transfuge de classe, si cher à tant d'auteurs et de critiques littéraires. Mais c'est presque un cas d'école: la romance récente entre Charlotte Casiraghi et Nicolas Mathieu se greffe à un héritage littéraire très balzacien dans le texte, avec l'esquisse d'une ascension sociale par les lettres.
Si la comédie humaine est toujours d'actualité, si nous dézoomons, les remous autours de ce couple inattendu illustrent cette France très actuelle; la nation a un problème avec les puissants, elle affectionne les pourfendeurs.
Nicolas Mathieu, si prolixe quand il s'agit de poster un message virulent à l'encontre des grands de ce monde, si vindicatif lorsqu'il faut canarder le président de la République dans une tribune pour Mediapart, «a-t-il trahi la classe ouvrière», comme le titrait le magazine Elle, en baissant la garde face à la membre de la famille princière monégasque?
Sa (petite) horde de fans – 138 000 abonnés sur Instagram – pensait tout savoir, tout avoir décortiqué des posts de l'anti-macroniste. Et bien non. Nicolas Mathieu fricote avec le camp adverse, publie même un bouquin (Le Ciel ouvert) dans lequel il narre son amour pour une «femme qui n'est pas libre». Les lecteurs et lectrices ont dévoré, avalé les pages sans se douter que l’héroïne était Charlotte Casiraghi.
Après l'énigme amoureuse à travers les mots, c'est l'énigme politique. L'intelligentsia française se plaît à classer les artistes à droite ou à gauche, mais surtout à l'emporte-pièce, la récupération est souvent de mise. La culture est puissante pour faire passer un message.
La littérature est même en pôle position, un art a forte plus-value politique qui intervient dans les débats. Le roman moderne est lié à la démocratie, analysait Nelly Wolf, professeure émérite à l'Université de Lille et spécialiste des liens entre la littérature et la politique.
Pour en dégager quelques exemples, on se souvient du phénomène furtif Marien Defalvard, lors de la remise de son prix de Flore 2011, lui qui se situait dans le camp de la (vieille) droite littéraire. Relayé par Le Nouvel Obs, il remerciait le jury du Prix de Flore d'avoir «couronné un roman de facho» avec son livre Du temps qu'on existait.
Et que dire lorsque Edouard Louis, autre jeune talent débarqué en grande pompe dans le milieu, érigé en figure de la gauche, écrivant son «coming-out» de classes dans ses livres, après avoir grandi dans un milieu prolétaire picard qu'il renie.
Edouard Louis disait noircir des pages pour «faire rougir de honte la classe dominante», dans le New York Times. Il crachait sur son enfance construite dans une France profonde, presque inepte, selon lui. Ses racines comme des boulets, il se transforme et change de nom (né Eddy Bellegueule) et même de physique. A présent, il traîne dans les soirées de la Fashion Week de Paris, à manger des petits fours aux côtés des puissants qu'il éreinte.
Dans ce combat social permanent d'une France morcelée entre les pauvres et les riches, l'hypocrisie rôde, elle est même galopante quand le bouton de l'ascenseur social est trouvé - la tentation peut-être grande de s'y engouffrer.
Concernant cette romance entre Nicolas Mathieu et Charlotte Casiraghi, c'est une autre paire de manches, plus profonde.
Nicolas Mathieu confiait dans Libé qu'«écrire, c’est une manière de rendre les coups». Sauf que les mots, bien que les écarts de classe soient abyssaux, n'ont pu freiner les sentiments. La Une de Paris Match démontre que la posture politique s'efface face à l'amour. Et tant pis pour l'impitoyable grondement des réseaux sociaux.