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Roald Dahl: arrêtons de prendre les enfants pour des abrutis

Roald Dahl: arrêtons de prendre les enfants pour des abrutis
Sous prétexte de les rendre moins «offensants», les livres de l'auteur britannique de Roald Dahl ont été caviardés avec bienveillance et générosité.Illustration: Quentin Blake
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Arrêtons de prendre les enfants pour des abrutis

Le monde n'est pas bienveillant. Ce n'est pas censurer les livres jeunesse pour l'enjoliver qui résoudra le problème.
21.02.2023, 21:4122.02.2023, 09:15
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Vous aussi, enfant, vous avez peut-être éprouvé quelques délicieux frissons à la description des Sacrées Sorcières de Roald Dahl. Vous n'avez peut-être pas oublié leurs pieds dépourvus d'orteils, leurs mains gantées, ni leurs crânes chauves purulents couverts de plaques et de croûtes. Dans ce cas, vous gardez sans doute en mémoire les savoureuses punchlines de Grand-mère, cette vieille dame aussi avisée que désabusée, dont les conseils permettent à son petit-fils de se faufiler entre les griffes de ces créatures démoniaques.

Ces recommandations, oubliez-les. La maison d'édition Puffin n'en veut plus, comme l'a signalé ce week-end le Daily Telegraph. Dans la nouvelle version du livre pour enfants, publié initialement en 1983, vous ne lirez plus:

«Tu ne peux pas passer ton temps à tirer les cheveux de chaque dame que tu croises, même si elle porte des gants. Essaie, tu verras bien ce qui se passe!»

Non. Désormais, Grand-mère préviendra:

«Il y a plein d'autres raisons pour lesquelles des femmes peuvent porter des perruques, et il n'y a certainement aucun mal à ça.»

Le changement pourrait être anecdotique, s'il ne faisait pas partie d'une révision bien plus large de l'œuvre de Roald Dahl. Des «changements mineurs et soigneusement étudiés», affirme la Roald Dahl Story Company. «Un vrai lifting», juge pour sa part Le Temps. De la «chirurgie bâclée, dont les éditeurs devraient avoir honte», tranche le Times britannique.

Objectif de cette réédition? Devenir «2023 compatible». C'est-à-dire débarrassée de toute notion problématique ou potentiellement offensante pour ses lecteurs. Corpulence, couleur de peau, genre ou encore santé mentale: tout a été revu. On a même pensé à ménager la susceptibilité des tortues, ces «créatures très arriérées» seulement capables de lire à l'envers. Désormais, les tortues peuvent lire seulement à l'envers... juste parce que.

C'est tout.

Bref, les jeunes d'aujourd'hui se plongeront dans une version rigoureusement lissée et aseptisée des récits fantasques et bizarroïdes de l'écrivain britannique. Quitte à ce que cette édition y perde sa diabolique saveur.

Heureusement, les inoubliables illustrations de Quentin Blake devraient continuer à accompagner les textes (corrigés) de Roald Dahl.
Heureusement, les inoubliables illustrations de Quentin Blake devraient continuer à accompagner les textes (corrigés) de Roald Dahl.image: quentin blake

Cruel et sans filtre

On vous épargne les considérations éthiques de passer au karsher les ouvrages d'un auteur disparu il y a trente ans, en dépit du soin maniaque qu'il avait du choix des mots. Passons directement à l'intérêt de nos petites têtes blondes, bien vivantes, elles. Des enfants qu'on a trop souvent tendance à sous-estimer, à la différence de Roald Dahl qui les présumait assez intelligents pour tout entendre.

Dans l'univers littéraire de Roald Dahl, comme dans notre monde, tout n'est pas que gentillesse et prévention. Il peut être dur, brutal, méchant. Chacun en prend pour son grade. En particulier les jeunes protagonistes, placés face à des adultes obtus, moins débrouillards, moins sensibles et moins avertis.

«C’était l’une des forces de Roald Dahl: leur montrer le monde comme il était, cruel parfois, sans filtre. Une manière de les prévenir et de les aider à s’adapter»
Florence Casulli, spécialiste de Roald Dahl,
au quotidien Le Temps.

Les enfants de 2023 ne méritent-ils pourtant pas, eux aussi, leur dose d'ironie, de second degré ou d'humour noir? En quoi seraient-ils moins capables que nous, autrefois, d'affronter le portrait d'un petit garçon très «gras» comme Augustus Gloop ou du visage «blanc comme un linge» d'une femme de chambre effrayée par une souris? N'ont-ils pas le droit de savoir que tout n'est pas que bienveillance et roudoudou? Peut-on, dans l’unique but affiché de les préserver, tout édulcorer? Non.

«On condamne cette génération au malheur de rester engluée dans sa condition misérable d'albatros que ses ailes de géant empêchent de marcher»
Bérangère Viennot, Slate.

En tentant vainement de lisser les aspérités d'une société hostile, à laquelle ils seront de toute façon confrontés, nous passons à côté de l'opportunité de les préparer. Même si cet entraînement prend la forme d'un livre de contes, apprivoisé dans la lumière tendre et le confort d'une chambre d'enfants.

Quant à ceux qui seraient heurtés à la place des tortues ou traumatisés par le crâne chauve et encroûté d'une sorcière, qu'ils restent sous la couette. La vie réelle doit leur paraître absolument terrifiante.

Pourquoi les tortues se giflent-elles ?
Video: watson
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