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Une journaliste nous raconte son expérience sous LSD

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Pour la journaliste Anuschka Roshani, le LSD a changé sa vie. Image: Shutterstock

«J'ai vu des images de mort»: le LSD a changé sa vie

Dans le cadre de recherches pour son livre, une journaliste a testé le LSD. Elle nous raconte son expérience.
25.12.2023, 11:5325.12.2023, 12:18
Julia Jannaschk / watson.de
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Aujourd'hui encore, des drogues telles que la kétamine, la MDMA ou le LSD sont reléguées au rang de substances malsaines. Mais la science s'intéresse de plus en plus à l'effet de certaines drogues sur le psychisme humain. Ces drogues font d'ailleurs l'objet de recherches, notamment aux Etats-Unis et en Suisse. Bien que les premières études montrent des résultats concluants, leur consommation reste controversée.

La journaliste allemande Anuschka Roshani – qui vit et travaille en Suisse – a voulu expérimenter les effets du LSD. C'est donc dans le cadre de ses recherches pour son livre, Gleissen. Wie mich LSD fürs Leben kurierte, en français, Comment le LSD m'a guérie pour la vie qu'Anuschka a testé le LSD. Et spoiler, ça a changé sa vie.

Anuschka Roshani hatte zwar keine Depressionen, war aber neugierig – und probierte LSD für eine Studie aus
Anuschka RoshaniImage: zvg

watson: Anuschka Roshani, pourquoi teniez-vous absolument à prendre du LSD?
Anuschka Roshani
: J'ai découvert ce sujet par l'intermédiaire de l'auteur scientifique Michael Pollan. Grâce à lui, j'ai appris qu'il y avait une grande renaissance de la recherche sur le LSD et d'autres substances psychédéliques comme la psilocybine. J'ai ensuite constaté que la Suisse est extrêmement en avance dans la recherche à ce sujet. Environ 50 thérapeutes suisses sont déjà autorisés à utiliser le LSD sur des patients. C'était donc un mélange de curiosité journalistique et personnelle.

Et ensuite?
Je suis partie en me disant: ce serait bien que tu puisses faire toi-même un «trip» dans le cadre de tes recherches. A l'époque, j'étais totalement naïve, je ne savais pas à quel point c'était réglementé. Même en Suisse, où tout est beaucoup plus libéral en matière de drogues, l'administration de LSD nécessite un tas d'autorisations de la part des autorités sanitaires.

Comment avez-vous finalement réussi?
J'ai naïvement dit au premier psychiatre que j'ai rencontré dans le contexte de mes recherches que je souhaitais moi-même prendre du LSD pour mon article. Et il m'a fait comprendre à demi-mot que je pouvais toujours courir. Mais ensuite, j'ai exprimé à nouveau ce souhait lors d'une interview avec un chercheur sur le LSD à l'Hôpital universitaire de Bâle. Et il m'a dit: «Je ne peux pas vous donner du LSD comme ça, mais si vous en avez envie, vous pouvez participer à notre étude sur les personnes en bonne santé, en tant que volontaire. Vous recevrez alors du LSD de notre part, mais bien sûr dans des conditions médicales et contrôlées». Et c'est ce que j'ai décidé de faire.

Pourquoi le LSD est-il un moyen si intéressant de traiter la dépression et la dépendance?
Le LSD est une substance qui modifie l'état de conscience; il a donc un effet psychoactif. Il transporte les sentiments du subconscient vers le conscient. C'est ce qui le rend si particulier. Et c'est ce que font les psychothérapeutes: ils essaient de ramener à la conscience des expériences refoulées et de les revisiter avec le patient pour les traiter. Dans le cadre d'une psychothérapie conventionnelle, cela peut prendre des années, alors que le LSD fait remonter l'inconscient à la surface, comme si on appuyait sur un bouton, en faisant affluer des souvenirs et des images. C'est ce qui le rend extrêmement puissant.

«Il y a eu des trips avec de très belles phases, mais aussi d'autres où j'ai vu des images de mort»
Anuschka Roshani

Ça ressemble à une thérapie en accéléré.
J'imagine que lors d'une thérapie conventionnelle, on ressent une certaine résistance interne à affronter à nouveau des expériences désagréables, voire traumatisantes. Le LSD vous y contraint, car sous son influence, vous n'avez pas d'autre choix que de regarder. Mais ce qui est bien, c'est qu'en revivant une ancienne expérience, le chemin de la solution nous est suggéré.

De quelle manière?
La prise de conscience, je dirais, est déjà la moitié de la bataille dans le traitement. C'est du moins ce que j'ai ressenti. D'ailleurs, le LSD peut aussi être très utile en cas de dépendance. Je peux l'imaginer dans la mesure où je n'arrivais plus à focaliser mon attention sous LSD. Cela semble être la clé de la guérison pour les personnes dépressives ou dépendantes. Leur focalisation sur une substance addictive, une peur ou une noirceur intérieure est entravée par le LSD. Cela semble fou, mais cohérent.

Mais les personnes dépendantes ne risquent-elles pas de devenir dépendantes du LSD?
C'est une fausse idée très répandue. La recherche prouve que le LSD ne crée pas de dépendance. Et je peux le comprendre: il crée parfois des expériences tout sauf agréables.

C'est-à-dire?
Il y a eu des trips très agréables, mais aussi des trips où je voyais des images de mort et qui m'épuisaient complètement. À la clinique, on m'a dit qu'il n'y avait pas encore eu de sujets qui «souhaitaient revivre immédiatement un trip au LSD». Après certains trips, il m'est arrivé de me dire que plus jamais j'en consommerai, je n'y arriverai plus. C'est beaucoup trop fatigant. D'autant plus que j'ai vécu cette introspection sur un lit d'hôpital, où toutes les images me sont tombées dessus. Après cela, je me suis sentie pour la première fois vraiment épuisée mentalement. Selon les recherches, la manière dont on vit un trip dépend fortement du «set and setting», c'est-à-dire de l'état d'esprit dans lequel on se trouve et du sentiment de sécurité qu'on éprouve, par exemple.

Qu'avez-vous vécu pendant vos trips au LSD?
Je me suis souvenu de choses de mon enfance, mais je ne pouvais pas contrôler la mosaïque de souvenirs. Le LSD provoque ce qu'on appelle une conscience-phare, comme celle qu'ont les enfants. C'est comme si le LSD était une lampe de poche qui éclaire sauvagement la pièce sombre. Cela signifie que sous LSD, je ne peux plus diriger la lampe de poche de manière ciblée sur un point quelconque.

Ces expériences vous ont-elles aussi changée sur le long terme?
Je crois vraiment que le rétrécissement de mon regard a été brisé. J'ai soudain retrouvé une grande confiance dans la vie – la vie en général, mais aussi ma vie. Que, d'une manière ou d'une autre, tout irait bien. Aujourd'hui, beaucoup de gens semblent avoir le sentiment que la fin du monde est proche, que le tableau s'assombrit.

Mais?
Je pense qu'il ne faut pas fermer les yeux sur toute la misère du monde. Mais en même temps, je sais maintenant que je me suis beaucoup trop préoccupée de choses qui n'en valaient pas la peine, comme par exemple savoir si j'arriverai à rendre mon article à temps ou encore réussir à attraper le prochain train. J'ai trop souvent alourdi mon quotidien avec des soucis dont je dirais rétrospectivement qu'ils étaient futiles.

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Le LSD est souvent consommé sous forme de pilules colorées, de capsules ou de feuilles.

Et ça a disparu juste comme ça?
Après le tout premier trip, je me suis déjà rendu compte que ce n'était pas important. Ce n'était pas du tout rationnel, c'est-à-dire que je pensais devoir mettre en balance mes soucis quotidiens et les graves souffrances du monde, les relativiser. A la place, j'ai eu ce sentiment clair: il n'y a pas à s'inquiéter, tout ira bien. Et les choses ne sont déjà pas si mal. Cela a énormément changé ma perception de la vie, à petite et à grande échelle. J'ai accepté beaucoup de choses et cela m'a tout de suite rendue plus lumineuse et plus sereine. Je me suis également débarrassée de ma grande compulsion à vouloir tout faire bien, tout de suite et en satisfaisant tout le monde. Bien sûr, je veux toujours faire mon travail le mieux possible et m'entendre avec les gens. Mais c'est là que j'ai réalisé à quel point vouloir fonctionner à plein régime en permanence me stressait.

Est-ce que vous recommanderiez le LSD à d'autres personnes?
Non, je ne veux pas en faire la promotion. Mais je pense que dans des conditions contrôlées, cela peut faire du bien à beaucoup de gens. Tout le monde a probablement des croyances fixes et établies. Mais comme la conscience est soudainement et violemment modifiée sous l'emprise du LSD, et que l'on voit tout d'un autre œil pendant une bonne quinzaine d'heures, on revient à la réalité avec une toute nouvelle perspective sur soi-même et sur les choses qui nous entourent.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

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