Cette semaine se tient à Genève le colloque international sur la santé des personnes trans* en Suisse. Une trentaine d'intervenants sont au programme. Le dernier jour, samedi 8 octobre, un débat aura lieu autour de la question suivante: la transidentité est-elle un effet de mode?
Entretien avec la professeure Annie Pullen Sansfaçon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles, en visite à Lausanne.
Le colloque a lieu à Genève: pourquoi vous arrêter à Lausanne?
Nous sommes en train de conduire une recherche qui s'appelle «Grandir trans», au Canada, en Australie, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Inde et ici, en Suisse. Après notre interview, j'ai rendez-vous au CHUV avec la division interdisciplinaire de santé des adolescents (DISA).
Et sur quoi porte la recherche?
Nous nous penchons sur le bien-être des jeunes qui questionnent leur identité de genre, et qui commencent leur puberté. En tout, nous allons suivre une soixantaine de personnes, que nous allons rencontrer 4 fois sur 3 ans. Le but est de voir comment l'accès aux soins, ainsi que le soutien de la famille et de l'entourage, améliore leur bien-être général.
Vous suivez des jeunes, vous êtes donc la bonne personne pour répondre à cette question: la transidentité est-elle un effet de mode?
Non. Elle a toujours existé au travers des époques et des cultures. Nous avons des traces, dont des écrits, qui parlent de personnes qui sont dans la diversité de genre.
Elle semble tout de même plus présente aujourd'hui.
Effectivement, elle est beaucoup plus visible.
Pourquoi?
Les identités trans et non binaires ont été cachées pendant longtemps. Mais avec les réseaux sociaux, les gens se parlent, se voient. Avant, il était plus difficile pour ces personnes de se reconnaître et de se nommer, car les modèles étaient plus rares autour d'elles.
Le vocabulaire est donc essentiel.
Oui. Et puis, il faut aussi savoir que ça ne fait que 10-20 ans que nous avons commencé à faire des recherches sur les enfants et les jeunes. D'ailleurs, au début, nous n'avions qu'une seule manière de nommer. Mais aujourd'hui, nous ne demandons plus «est-ce que tu es une personne assignée fille ou garçon à la naissance?» Nous posons la question autrement: «comment est-ce que tu te nommes?» C'est plus respectueux.
Cette plus grande visibilité a-t-elle amélioré l'accès aux soins et la prise en charge médicale?
Affirmer son identité de genre est une première étape, et il reste encore beaucoup de barrières ensuite lorsque le jeune (réd: moins de 25 ans) vit son genre.
C'est-à-dire?
Au Canada, ils peuvent attendre plusieurs mois avant de recevoir un traitement hormonal par exemple, qui apporte des changements physiques, ou un bloqueur de puberté, qui permet de la mettre sur pause le temps qu'ils naviguent dans leur environnement et voient comment ils se sentent.
En Suisse d'ailleurs, obtenir des hormones et une hormonothérapie est très compliqué, et il n'y a pas longtemps, les cliniques ne les prescrivaient que rarement aux mineurs. Et pendant ce temps, le jeune souffrait.
Outre l'accès aux soins, qu'en est-il du regard de la société aujourd'hui?
Il y a encore énormément de transphobie et de violences envers les personnes trans. Pour les jeunes, c'est important d'avoir accès à une communauté; ils se reconnaissent et se soutiennent. Le soutien de la famille et de l'entourage est aussi essentiel.
C'est un tout.
Evidemment. Lorsqu'on accompagne quelqu'un qui questionne son identité de genre ou qui transitionne, l'approche se doit d'être progressive.
Il arrive d'ailleurs qu'un jeune commence sa transition et se rende compte que ça ne lui convient pas.
Et que faire lorsque ça arrive?
S'il veut détransitionner, il faut qu'il puisse le dire. Certes, certains vivent dans le regret d'avoir entamé ce processus. Mais de nombreux autres, qui sont dans une situation d'ambivalence, ont de la gratitude envers leurs parcours. Désormais, ils savent qui ils sont. En conclusion, je dirais que peu importe la situation, l'important est d'accompagner la personne, et ne surtout pas lui mettre de contraintes ou de pressions.