«Cette année, je vais faire Dry January. Pas une goutte d'alcool, rien, je laisse récupérer mon corps après les Fêtes, je laisse mes organes se régénérer. En mode "new year, new me", tu vois?». On a tous un pote qui se lance dans ce «défi». De mon côté, ce pote s'appelle Elias. Cet ami à qui on demande, juste pour lui prouver que son challenge est éclaté (et pour nous rassurer parce que nous-mêmes sommes incapables de couper le robinet d'alcool aussi longtemps), «et le 3 février, à l'anniversaire de Mathieu, tu vas te remettre à boire? Un peu? Beaucoup?»
Elias va faire Dry January parce que Chantal, sa tante, bourrée comme un coing à Noël, a braillé devant toute la famille qu'il n'en était pas capable. «Ta mère m'a raconté qu'une fois, elle a dû venir te récupérer dans le jardin des voisins parce que tu ne retrouvais pas la maison!» Rires, regards condescendants et pincements de lèvres dans l'assemblée. Chantal est satisfaite, elle a fait marrer la table, même les petits neveux, avec son anecdote. Elle, en rentrant de soirée, elle se réveille parfois toute habillée, mais elle omet de raconter ce détail.
Ça y est. Il est décidé. À Nouvel An, il arrête de boire pour un mois. D'ailleurs, alors qu'Elias et la nouvelle année sont entamés depuis à peine deux heures, il parle de son «défi» à tout le monde, afin que chacun sache à quel point il est un homme responsable et respectable. Il n'a plus toutes les consonnes, mais comme il raconte son «projet» en boucle, celles et ceux qui ont encore quelques neurones comprennent ce qu'il débite.
Comprennent surtout qu'il va être monstrueusement chiant. Et vous, en silence, vous avez déjà envie de le couler dans une dalle de béton.
Mais il y a pire encore qu'Elias, son foie pété et son Dry January d'hypocrite. Il y a Marina. On ne le sait pas encore, mais elle, elle va se lancer dans une version plus soft de Dry January: Damp January. Et elle va elle aussi nous donner envie de jeter des trucs lourds par la fenêtre pendant un mois.
Mardi 2 janvier, ça part sur un petit brunch entre amis pour débriefer la soirée du 31. Tandis que Steph', Sabrina et quelques autres sont encore «dans le dur», ils décident de «soigner le mal par le mal» avec des mimosas. Elias, lui, tient bon.
Et alors que ce «dryjanuareur» intrépide inflige à ses camarades un énième discours sur les bienfaits de la sobriété après avoir arrêté de boire depuis 28 heures, Marina sort du bois avec son propre projet.
Les réactions sont diverses. Steph' et quelques autres ont l'air mi-intéressé, mi-blasé. Sabrina, elle, hausse un sourcil jusqu'à la racine de ses cheveux. Elias, pour sa part, a du mal à cacher sa déception. Son sacrifice alcoolique et son quart d'heure de gloire appartiennent déjà au passé.
«Ça veut dire "humide", j'ai appris ça quand j'ai fait un Erasmus en Ecosse, vous vous rappelez? C'était dingue», intervient Elias, qui essaie grossièrement de ramener la couverture à lui. «Exactement, ça veut dire "janvier humide", au lieu de "janvier sec", quoi», précise Marina. «En gros, j'ai le droit de boire, mais je me fixe des limites, comme une flexitarienne de l'alcool.» Ah merde, elle aussi elle va devoir finir dans une dalle de béton.
L'adepte du mois humide nous explique qu'il s'agit d'une approche plus modérée de Dry January, ce qui permet à ses pratiquants de boire un verre de temps en temps, en les choisissant bien, sans se priver, et sans être dans l'autre extrême, façon Elias-se-met-un-entonnoir-à-vodka-dans-le-gosier.
D'où sort-elle ce concept? «D'un magazine», répond-elle à Sabrina, qui va finir par devoir se faire botoxer le front à force d'hausser si haut son sourcil condescendant. «C'est une manière de faire de la sensibilisation, sans tomber dans la frustration ou l'échec», précise Marina, qui juge Sabrina autant que Sabrina la juge.
Les neurones de Steph' finissent par s'aligner. «Ah oui, j'ai lu un truc à ce sujet. Les producteurs d'alcool sont super contents que ce concept vienne concurrencer Dry January, comme ça, ils continuent à écouler leurs stocks à ceux qui "boivent juste un verre" au lieu de s'arrêter complètement.» Le sourire en coin de Sabrina va lui aussi lui valoir des rides prématurées.
Pendant qu'Elias tente désespérément de faire revenir la discussion sur Dry January, «parce que c'est quand même bien plus challenging que ton truc de merde», vous, le regard perdu dans le néant, vous vous dites qu'au moins, personne n'a décidé de partir sur un Veganuary. Vous imaginez Elias tenter le coup et gémir dès le 12 janvier que «c'est trop dur, je vais avoir des carences en fer». Et ça vous fait rire dans votre coin.
«Non, non, c'est rien.» Pendant que vos amis se disputent pour savoir lequel des deux challenges de janvier sans (trop) d'alcool est le plus con, vous, vous comptez les jours qui vous séparent du 1er février et de la délivrance. En espérant que d'ici là, aucun de vos bobos de potes ne s'invente un nouveau problème et ne décide de se lancer dans le challenge «février sans supermarché».