En faisant défiler les photos des beautiful people qui se dandinent sur la moquette rouge de Cannes ou du MET Gala, vous avez peut-être noté quelque chose.
De la chair. Beaucoup, beaucoup de chair.
Dernière démonstration en grâce, ce lundi sur la Croisette, par la mannequin Irina Shayk. L'ex-ange de Victoria's Secret a foulé la moquette (bleue) de son hôtel, dans une tenue légère qui a arraché quelques cris d'indignation aux chroniqueurs de mode les plus prudes.
Citons la journaliste fashion du Times, qui, outre un «concours de maillots de bain» au très formel Festival de Cannes, a dénoncé un «concours de pipi». Un combat entre les veinardes à la «génétique impossible» et les autres, «celles qui ont la motivation de faire du Pilates cinq jours par semaine».
Qu'on adhère ou non aux abdos exhibés, au string griffé Gucci et au collier de chien en diamants, il faut au moins reconnaître à Irina Shayk qu'elle a parfaitement réussi à nous faire jaser. Preuve qu'afficher la courbe d'une fesse, l'ébauche d'un sein, ou même davantage, reste un moyen infaillible de faire parler de soi. Et de camper les premières places des diaporamas des «meilleurs looks» sur les sites de presse.
Rien de neuf sous le soleil. La nudité, voire sa suggestion, a toujours eu le pouvoir de capter notre attention. Ce n'est pas Marilyn Monroe qui dira le contraire. L'icône qui, en 1962 déjà, susurrait «Happy birthday» à Kennedy, moulée dans une étroite robe couleur chair incrustée de strass, dont le tissu disparaissait une fois sous les projecteurs.
La recette fonctionne toujours: la preuve, Kim Kardashian l'a ressortie du placard l'année dernière, pour le gala du MET.
Depuis les années 60, d'autres stars ont suivi le mouvement. De la nuisette transparente de Kate Moss en 1993, à la robe Versace de Jennifer Lopez, en 2000, provocant une telle frénésie qu'elle a conduit à la création de Google Images. Sans oublier celle, en résille, de Rihanna qui, malgré ses 216 000 cristaux Swarovski, dévoilait surtout ses tétons.
Toutes les Kendall Jenner, Gigi Hadid et autres Emily Ratajkowski de la planète ont rivalisé d'ingéniosité en utilisant ce qu'il faut de ficelles, de plumes et de bijoux pour ne planquer que les éléments classés «X».
Au-delà du coup de pub, exposer sa chair est une manière culottée d'envoyer bouler les conventions, avec le même enthousiasme qu'on arrache son soutien-gorge à la fin d'une longue journée. Une récupération de son corps, voire un acte féministe, diront certains. (Personnellement, j'attends que Johnny Depp pose en caleçon sur les marches cannoises, avant de valider cette théorie.)
Admettons qu'il est nettement plus facile pour Beyoncé et ses consoeurs d'exhiber leur plastique, façonnée à coup de salades de quinoa sans sauce et de séances de fitness avec un coach privé, que Marie-Chantal, secrétaire de rédaction, plantée 9 heures par jour derrière son écran.
C'est peut-être là tout le mystère de la «robe nue»: être réservée à une poignée de privilégiées, pourvues d'un fort potentiel génétique et, surtout, de moult assistants dévoués. D'ailleurs, à l'exception des remises de prix et des galas, il n'existe pas de lieu approprié pour afficher tenue d'Eve et petites paillettes. Un apéro du PLR? Une soirée entre copines? Son propre mariage? Non.
Se glisser dans «rien» étant fermement et irrévocablement hors de notre portée, nous n'avons plus qu'à nous détendre pour admirer l'audace des people, comme une œuvre d'art dans un musée que jamais nous ne toucherons, ni ne posséderons.
Pour la rédactrice mode du Times, Charlie Gowans-Eglinton, vous l'avez compris, c'est un non: «Ce n'est pas vraiment de la mode. Pas quand les vêtements eux-mêmes ont été rétrécis et rendus transparents pour être aussi invisibles que possible».
Même son de cloche du côté de la designer Carolina Herrera, qui n'a pas manqué d'exprimer tout le dégoût que lui inspire cette tendance au Washington Post: «C'est tellement moderne d'être nu ou presque nu. Ils pensent que ça va attirer les jeunes s'ils fabriquent ces robes. Non! Le presque nu! Oh mon Dieu! Ils essaient d'attirer l'attention des gens sur eux. Dans la vie, il devrait y avoir un peu de mystère.»
Pour ma part, j'ai préféré décrocher le téléphone pour poser la question à Evan Giusto, co-fondateur de la marque evanbenjamin, qui compte parmi ses nombreuses fans Angèle et Nabilla.
«Jouer avec la nudité, c'est très sexy, provocant, donc ça fait forcément parler. Si c'est raffiné, je ne suis pas contre», concède le styliste.
Mais?
Bref: «Pour ce genre d'évènement, c'est dommage. On manque de matière, de volume. Cannes, c'est fait pour les tissus!» S'il y a au moins une chose qui mettra tout le monde d'accord, c'est que les meilleurs styles sont ceux qui repoussent les limites. Et font causer les gens.
Avec ou sans petite culotte.