Impossible d'y échapper. La doudoune est partout. De la vitrine de Globus aux portiques d'H&M, en passant par les épaules de votre collègue Bernard ou celles d'Hailey Bieber. Sur les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres, les gens fashion et les ploucs. En version bonhomme Michelin «puffy», large et gonflée, ou plutôt PLR, fine et légère, parfois carrément sans manche.
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— olexander scherba🇺🇦 (@olex_scherba) November 14, 2022
Au fond, une doudoune, c'est quoi?
Définition: «Une veste rembourrée de duvet et de plumes d'oie. La doudoune historique doit correspondre à des critères précis en matière de poids, de proportions, de rembourrage. Par exemple, son poids moyen se situe autour de 300-350 grammes», me décrit l'expert de la doudoune, l'historien Régis Boulat, qui vient de publier: «Des Alpes à la Fashion Week: l’odyssée de la doudoune».
Personnellement, je suis réfractaire à la doudoune depuis des années. Plus précisément depuis qu'en sixième, ma maman m'a affublée d'un modèle argenté. Expérience traumatisante qui m'a valu les railleries de mes copains dans la cour d'école. Je ne leur en veux pas - mes petits camarades étaient simplement des influenceurs avant l'heure et plus avisés que moi.
Soyons honnêtes. Pourquoi s'infliger un vêtement quand il pose les questions suivantes:
Flash-back en 1936.
Comme beaucoup de pièces légendaires, l'histoire de la doudoune est née d'un accident. En 1935, l'aventurier Eddie Bauer, propriétaire d'un magasin d'articles de sport et de chasse à Seattle, manque de crever d'une hypothermie au cours d'une partie de pêche, sur un lac gelé, avec un ami.
A cette époque, il n'existe pas encore sur le marché de veste suffisamment légère, chaude et imperméable, pour protéger adéquatement le corps des températures extrêmes et des intempéries. Quelques échanges avec quelques fournisseurs de duvet d'oie et voilà: en 1936, la première doudoune, baptisée «Skyliner», voit le jour.
Un an plus tard, première rencontre de la doudoune avec le monde du luxe. La faute au designer Charles James et à sa veste de soirée en satin matelassée, au nom évocateur de veste «pneumatique».
D'un public de niche de randonneurs et de sportifs de l'extrême, la doudoune se mue en sous-produit et taille sa place dans le dressing des honnêtes citoyens... qui n'avaient pourtant rien demandé.
C'est seulement dans les années 80 qu’elle acquiert son nom de «doudoune» - qui évoque à la fois le doudou des enfants, la couverture chaude et confortable dans laquelle on s'emmitoufle au Québec - et son âge d'or. Elle est adoptée (notamment) par la culture hip-hop, dans un esprit streetwear.
Depuis quelques années, de par son côté pratique et cosy, la doudoune s’est imposée comme un indispensable, un véritable basic dans le vestiaire corporate des entreprises, note le Figaro en 2019. En tête d'article: Jeff Bezos, arborant fièrement sa doudoune sans manches.
«La doudoune, ou gilet matelassé, est à l’électeur de droite ce que le sarouel est à l’électeur de gauche ou la biographie de Goebbels à l’électeur de l’extrême droite: un indispensable signe de ralliement», juge pour sa part le journaliste Marc Beaugé sur le plateau de «Quotidien» l'automne dernier.
Pour le site «De gauche ou de droite», le verdict est sans appel.
Je me dois de poser la question à mon expert de la doudoune, Régis Boulat. «Il est vrai qu'on associe la doudoune à des valeurs et des activités plutôt cataloguées à droite», m'accorde l'historien. De même, les valeurs associées à la montagne sont celles promues par la droite: endurance, persévérance, effort, ascèse personnelle…
Apanage des bourgeois, voire des aristos, au début du 20e siècle, les sports d'hiver se sont encore assez peu démocratisés. D'où la réputation tenace de la doudoune d'être «de droite». MAIS:
Si tout le monde ne peut pas se payer des vacances à Zermatt, chacun peut s'offrir une doudoune. «C'est le cas par exemple des jeunes des banlieues, qui se sont appropriés ce vêtement et l’ont détourné avec leurs codes, leurs marques, leur manière de la porter», me rappellent Régis Boulet (qui me confie être «pro-Doudoune»).
Une chose est sûre. Quel que soit son bord politique, pour moi, la doudoune aurait mieux fait de rester pendue au sommet des Alpes.