31 octobre 2022, dans l'après-midi et une rue de Los Angeles. Lil Nas X a trouvé son déguisement pour Halloween. Perruque couleur flamme, crop-top vert pastel, mini-short en jean et manucure encombrante. Un hommage à une certaine Ice Spice, fringuée de la sorte dans le clip qui accompagne son tube Munch (Feelin’ U), sorti deux mois plus tôt. On appelle ça un balbutiement de fame.
Une signature qui ouvre d'ailleurs tous les morceaux qu'elle a sortis ces derniers mois. Riot, c'est le producteur qui a compris avant tout le monde que cette indomptable poupée du Bronx, née Isis Naija Gaston le 1er janvier 2000, deviendrait la nouvelle «reine du hip-hop», applaudie par le New York Times. Merci à lui. Dernière preuve en date: la sortie, vendredi, d'un petit bout de bande originale du film Barbie. Une minute et quarante-neuf secondes, comme un clin d'oeil injecté de rose, qu'elle partage avec sa sulfureuse baby-sitter Nicki Minaj.
Le même jour, elle fêtait son premier milliard de streams sur Spotify. Oui, ça va vite pour celle qui tricotait ses rimes sur le chemin de l'école, avec son père, quand elle n'avait que sept ans. A l'époque déjà, elle se nourrissait exclusivement de milkshake, de Nicki Minaj et de Lil Kim.
Ne cherchons pas de concept là où c'est inutile. Nous n'avons pas affaire à Lady Gaga ou Mylène Farmer. Ice Spice s'appelle Ice Spice parce qu'elle met de la sauce piquante partout, «même dans mes glaces». Elle empoigne son micro comme une arme, avale des cookies M&M's toute la journée, chouchoute sa polaire noire Prada et passe son temps à twerker. Vous savez, cet art qui consiste à secouer son boule en étant dangereusement cambré. «J'adore quand je vois des fesses faire blup, blup.» Tellement, que YouTube regorge aujourd'hui de compilation d'Ice Spice qui twerke. Simple, basique.
Depuis qu'elle a signé un contrat en diamant brut avec le géant Capitole, fin 2022, elle peut enfin tirer un trait sur les «sandwichs au pain» et les faux sacs Chanel qu'elle se dégotait en bas de l'immeuble de papa-maman, la nuit tombée.
Un destin de princesse («qui n'a pas envie d'être une princesse?») qu'elle doit certes à son talent, mais beaucoup à internet. En quelques jours, le morceau Munch a secoué TikTok, perturbé Drake et bouleversé la quiétude des centres commerciaux de son enfance. Désormais, quand Ice veut s'offrir une glace dans son quartier, elle enfile une capuche pour planquer sa tignasse volcanique et de grosses lunettes pour semer les kids qui se ruent littéralement sur «Miss Munch».
Une icône, mais pas la dernière des connes: «Le plus triste avec le succès et l'argent qui rentre d'un coup, c'est de réaliser que, malgré tout, tu ne peux pas aider tous ceux que tu voudrais».
Toute ascension fulgurante draine son lot de jalousies primaires et de moqueries maladroites. Drake, avant de lui envoyer un texto pour lui dire qu'elle était super, lui avait dédié une strophe vacharde dans son morceau BackOutsideBoyz. «Physiquement, c'est un 10, mais elle devrait rapper en sourdine.» Bonne joueuse, elle s'était contentée de répondre «qu'au moins», elle était «un 10».
Plus récemment, le futur ex-boyfriend de Taylor Swift avait validé d'un rire gras une série de blagues racistes la concernant. Dans leur podcast, deux influenceurs bourrins semblaient trouver judicieux de la traiter de «Spice Girl inuite» et de «fille chinoise potelée». Le Karma fait plutôt bien son boulot: Swift a jeté Matt Healy et s'est violemment éprise du talent du bonbon du Bronx, l'invitant à enflammer son album.
En réalité, c'est un ADN de luxe, composé d'un papa afro-américain et d'une maman dominicaine, qui a perturbé les deux abrutis. Qu'on ne s'inquiète pas trop non plus. La dame est une soldate, bien ancrée dans le bitume new-yorkais, ne risquant pas de s'envoler à la moindre bourrasque d'insultes. D'autant que ses alliées sont aussi puissantes qu'elles. La fille de Kim et Kanye n'arrête pas de la dessiner et Nicki Minaj, quand elle a su que la petiote se faisait rudoyer, s'était servie des paroles du morceau Princess Diana, de Spice, pour la défendre en public: «Les salopes partent en courant parce qu'elles savent que j'ai un gang».
Deux mois plus tard, Minaj s'incrustait dans le morceau, pour un featuring d'une indécente énergie.
Ice Spice a toujours voulu être une princesse. La voilà (déjà) devenue celle de toute une génération, qui s'agrippe à sa moue sucrée et ses rimes salaces. Pour l'anecdote, le tube Princess Diana est né d'un doux coup monté de ses groupies sur les réseaux sociaux, lui trouvant un petit air de... Lady Di. On est contraint de valider cette bêtise, tant elles partagent le même magnétisme.
Et Isis Naija Gaston n'a pas fini d'aimanter son monde.