«Non seulement ils me faisaient mal, mais en plus ils pouvaient faire ça à n'importe quel moment, donc je devais être constamment sur mes gardes.» Louise faisait déjà du 90C en classe de 5e.
Dans la cour de récréation, les garçons avaient imaginé un «jeu» -en réalité une agression sexuelle selon la loi- qui consistait à venir taper l'un de ses seins avant de repartir rapidement en courant; celui qui avait marqué le plus de points à la fin de la journée avait gagné. «J'essayais de rigoler mais au fond de moi, je n'en pouvais plus. C'était épuisant et humiliant.»
Comme elle, certaines femmes gardent un souvenir amer de leur adolescence. Tour à tour moquées, slut-shamées, harcelées, voire même agressées, elles partagent toutes un point commun: avoir grandi avec des gros seins.
Selon une étude menée auprès de 18 541 femmes, dans quarante pays du monde, 71% d'entre elles ne sont pas satisfaites de la taille de leur poitrine. 47% souhaiteraient avoir des seins plus gros, tandis que 23% aimeraient les avoir plus petits. Loin d'être anodin, ce complexe peut avoir plusieurs graves répercussions, explique l'équipe de recherche à l'origine de l'étude: les femmes qui se sentent moins à l'aise avec leur corps sont moins susceptibles de vérifier la présence de potentielles grosseurs au niveau de la poitrine et sont plus sujettes à certains troubles mentaux, tels que la dysmorphophobie.
«J'ai senti très jeune le regard des hommes sur moi, ou plus exactement sur ma poitrine, que ce soit de la part de camarades de classe ou d'adultes», témoigne Louise. À 12 ans, elle ne comprenait pas réellement ce que ce regard signifiait; elle sait juste que cela la mettait mal à l'aise. Comme d'autres, dans les années qui ont suivi, elle a usé de stratégies pour tenter de dissimuler ce corps, comme le port de vêtements amples ou l'usage de brassières aplatissantes.
D'autres demandent des attestations pour ne plus aller à la piscine ou être dispensées de sport à cause des douleurs de certaines activités physiques, telles que la course à pied, mais aussi par crainte d'attirer le regard des autres sur elles. Plus alarmant encore, il n'est pas rare que certaines développent des troubles du comportement alimentaire en ayant en tête l'idée de perdre du poids et de la poitrine.
La fondatrice du site Sexy SouciS, qui a consacré une vidéo à l'obsession malsaine qui entoure la taille des seins, note aussi qu'ils peuvent être un marqueur de genre très puissant, alors même que l'adolescence est une période où il y a beaucoup de questionnement autour de l'identité de genre.
Outre la grosseur de la poitrine, «c'est aussi sa forme, la taille des mamelons ou encore la manière dont les tétons pointent qui peuvent être une source de complexes pour les jeunes filles», affirme Xavier Pommereau. Certaines préfèrent ainsi garder leur soutien-gorge lors des rapports intimes, faire l'amour uniquement dans le noir ou cachées sous la couette, angoissées par l'image que peut renvoyer leur corps à leur partenaire. Cela peut avoir des conséquences désastreuses sur leur vie intime et sexuelle, alimentant les états anxieux voire dépressifs dont elles souffrent déjà.
Sur un plan purement pratique, trouver des vêtements et de la lingerie qui correspondent à sa morphologie et dans lesquels on se sent bien peut devenir un véritable parcours du combattant quand on a de gros seins.
Et quand ce n'est pas l'esthétique qui est en jeu, ce sont la qualité et le prix, car les magasins de lingerie spécialisés sont souvent plus onéreux. Louise se dit chanceuse d'avoir une mère qui avait les moyens de l'accompagner pour lui payer des soutiens-gorge à sa taille, confortables et jolis. Mais ce n'est pas le cas de toutes les adolescentes, qui sont parfois obligées de se rabattre sur des marques de mauvaise qualité par manque de moyens financiers, ou d'autres qui doivent injustement sacrifier leur argent de poche.
Enfin, avoir une grosse poitrine implique de devoir porter un poids sur son thorax en permanence -un kilo, parfois plus. Cela peut générer une mauvaise posture du dos et des épaules, causer des douleurs dorsales et musculaires, rendre l'exercice physique et l'endormissement plus difficiles. Quand la poitrine devient ainsi une source de souffrances physiques autant que psychologiques, il n'est pas rare que les personnes concernées se tournent vers la réduction mammaire.
Cette opération est remboursée par la Sécurité sociale en tant que chirurgie réparatrice si elle nécessite de retirer plus de 300 grammes par sein. En France, s'il n'existe pas d'âge minimum légal pour effectuer cette opération, la plupart des (bons) chirurgiens préféreront attendre au moins la fin de la croissance de la patiente, précise Xavier Pommereau, qui a déjà redirigé plusieurs jeunes femmes vers des spécialistes. «Quand on constate un réel handicap, ça peut être une bonne solution. La grande majorité de mes patientes en sont satisfaites, c'est aussi cela qui m'incite à soutenir leur démarche», explique-t-il.
Il n'empêche que d'un point de vue sociétal, beaucoup d'efforts restent à faire pour changer le regard sur les grosses poitrines, et particulièrement lorsque cela concerne les jeunes filles. «Il n'y a pas beaucoup d'éducation au collège au sujet des seins, alors que c'est certainement à ce moment-là que tout devient plus compliqué pour les jeunes filles et qu'elles en auraient le plus besoin», estime Xavier Pommereau. De simples cours d'éducation sur la puberté et les transformations du corps, comme la formation de la poitrine, seraient déjà un bon début selon le psychiatre.
Dans ce combat vers l'acceptation et l'amour de soi, l'entourage joue aussi un rôle clé: parents, amis ou partenaires, il faut savoir se montrer attentifs et présents, sans jamais émettre de commentaires et encore moins de jugements. Et surtout, ne pas forcer quoi que ce soit. Louise raconte:
Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original