L'intelligence artificielle pétrifie le monde du travail. Le sujet a été longuement évoqué dans les travées du WEF, spécialement lorsque Sam Altman a pris la parole, assurant que des décisions «inconfortables» seront prises avec l'avénement de l'intelligence artificielle.
Ces dernières semaines, par exemple, Google a annoncé licencier des centaines d'employés au profit de l'intelligence artificielle. Duolingo a aussi liquidé 10% de ses employés temporaires pour les remplacer par l'IA.
PwC a publié en marge du WEF une enquête qui donne à réfléchir: 45% des PDG annoncent que dans 10 ans, leur entreprise ne sera plus viable s'ils restent sur la trajectoire actuelle. L'an dernier, ils étaient 39%.
Pour changer de cap, la tentation de l'intelligence artificielle est bien sûr plébiscitée. Normal, sachant que les avancées technologiques sont généralement les principaux facteurs des changements sur le marché du travail.
De manière générale, l'intelligence artificielle est dans nos vies depuis belle lurette. «L’IA est déjà partout dans nos existences. Le défi est de chercher quelle parcelle de notre vie n'est pas encore affectée par l’IA», cadre Johan Rochel, chercheur à l'EPFL et philosophe valaisan, co-fondateur du laboratoire sur l'innovation Ethix.
L'intelligence artificielle générative (comme ChatGPT) fait couler beaucoup d'encre, car elle est une technologie particulière et «parce qu’elle est multitâche, tout le monde peut l'utiliser; c’est un couteau suisse», renseigne le chercheur.
60% des CEO s'attendent à ce que l'IA améliore la qualité des produits ou des services. Ils sont également nombreux à miser sur une amélioration des capacités de leur entreprise grâce à cet outil.
Le monde du travail aborde un moment critique, apparemment sur le point de transformer les modèles économiques, de redéfinir les processus de travail et de remanier des industries entières, selon le rapport du cabinet d'audit PwC.
Des conclusions que ne partage pas Johan Rochel:
Pourtant, de son côté, le cabinet d'audit affirme qu'un quart des grands patrons s’attendent à réduire leurs effectifs d’au moins 5% en 2024 grâce (ou à cause) à l’IA.
Selon une étude de l'OCDE, les pays qui en font partie pourraient être au bord d’une révolution de l’IA. Le Seco détaille:
La machine au service de l'humain et non le contraire. Mais Johan Rochel rappelle qu'il faut se méfier des effets de bulle.
Le chercheur basé à Zurich rapporte que «lors de nombreuses conférences auprès de public éloigné de la tech, je remarque qu’une majorité n’a pas encore testé une seule fois.»
Un emballement excessif ou prématuré? Johan Rochel appelle à la prudence: «Du moment qu'on pose les jalons et qu'on s'intéresse aux types de tâches qui vont évoluer, le gâteau se dégonfle déjà un petit peu. La machine, elle ne "vole" le travail de personne. Prenons l'exemple de la voiture: elle ne "vole" pas le temps de marche, elle aide à gagner du temps.»
Pour de nombreux experts ou techno-optimistes, l'IA est une innovation et non une menace. Le Valaisan assure que dans dix ans (ou moins), les changements vont être effectifs: «l’IA aura impacté toute notre vie et notre façon de travailler. Il y aura de nouveau un coup d’accélérateur quand elle sera pleinement intégrée dans nos vies professionnelles.»
Mais derrière le spectre du «grand remplacement technologique», Johan Rochel se dit «surpris que l’intérêt reste à un très haut niveau autour de l'IA générative».
Yann Le Cun, scientifique en chef de l'IA chez Meta, est le premier à marteler «que le danger de l'IA est exagéré». Mais la pilule peut être difficile à avaler et les craintes sont fondées, spécialement quand 25% des PDG souhaitent remplacer leurs employés par l'IA. Sam Altman se disait conscient de «la nervosité du public» lors de son intervention au WEF.
Mais ChatGPT va-t-il réellement nous voler nos jobs? Johan Rochel n'est «pas sûr que ce soit la bonne question».
Selon PwC, si les patrons voient d'un bon oeil l'arrivée de l'intelligence artificielle, les employés sont moins emballés. 31% des travailleurs sont réticents et ne voient pas l’IA augmenter leur productivité et leur efficacité au travail.
Un employé de banque interrogé, sous couvert d'anonymat, nous explique que l'utilisation de ChatGPT est quotidienne et lui permet «de gagner de nombreuses heures de travail» dans des tâches plus ou moins complexes.
Johan Rochel enchaîne et nous expose son point de vue:
Car la protection des travailleurs est un axe important dans l'arrivée de l'IA. Une transition numérique crée toujours des fractures, des perdants dans l'équation et des inégalités. Le Seco nous dessine la mise en place de développement technologique dans la formation professionnelle en Suisse. Le Conseil fédéral a d'ailleurs publié un rapport en décembre 2023, soulignant que «le système de formation s'est montré apte à gérer les développements technologiques».
Mais inéluctablement, il y aura des victimes collatérales. Et que faire des perdants? Johan Rochel avance des options, comme «le devoir des entreprises à suivre et offrir un accompagnement aux employés "remplacés"»; ou comme autre option, une politique sociale empoignée par la collectivité qui vient en aide aux laissés-pour-compte.