Olga Kharlan en a bavé. Et pas seulement en raison de sa disqualification, jeudi, aux Mondiaux d'escrime de Milan. Quelques heures avant de battre la Russe Anna Smirnova et de refuser de la saluer, la sabreuse ukrainienne a dû «canaliser ses émotions», juste pour être en mesure de défier l'ennemi de sa nation, celle qui meurt sous les assauts de Poutine, sans craquer. Les larmes, elles, sont apparues à l'abri des regards, au coin de la piste, quand les jambes d'Olga ont soudain refusé de la porter.
Si Olga a pu mettre une raclée à son adversaire, c'est parce qu'Anna Smirnova s'est présentée comme une «athlète individuelle neutre» et que, 24 heures plus tôt, les autorités ukrainiennes dégoupillaient, à la hâte, un décret autorisant leurs compatriotes à affronter les sportifs de la Fédération de Russie et de Biélorussie.
Un tour de passe-passe gorgé d'hypocrisie, que la quadruple championne du monde n'a pas digéré. Pas plus que le plus proche conseiller de Volodymyr Zelensky, «scandalisé» par la disqualification d'Olga, qui s'est permis de ressortir une photo de l'athlète russe posant fièrement avec un soldat de Poutine.
The photo features Anna Smirnova, the Russian fencer who Ukrainian Olha #Kharlan refused to shake hands with at the World Championships after winning a fair bout. As you can see, she openly admires the Russian army, which is killing Ukrainians and destroying our cities. The… pic.twitter.com/je1o94n3OX
— Михайло Подоляк (@Podolyak_M) July 27, 2023
Pour Olga, le fait qu'Anna Smirnova «tende sa main, est une provocation. Une énorme provocation». L'Ukrainienne se serait contentée d'un croisement de sabre, en évitant son regard, mais en regard à la guerre.
Hasard du calendrier, la championne ukrainienne fait les gros titres en parallèle d'un film qui a su imposer la couleur rose tout autour du globe. Si Margot Robbie est bel et bien la nouvelle Barbie, Olga Kharlan en est une, elle aussi. En 2020, la sportive rejoignait fièrement Frida Kahlo, l'actrice Zendaya, la tenniswoman Naomi Osaka, la PDG de YouTube Susan Wojcicki ou encore, tout dernièrement, l'influenceuse française Lena Situations, dans le club Mattel des «femmes inspirantes» ayant une poupée à leur effigie.
Pour la société américaine de jouets, l'idée étant de raconter des «histoires de femmes de tous les horizons, pour leur montrer qu'elles peuvent être n'importe quoi». Il faut dire qu'Olga Kharlan est un modèle pour les gamines ukrainiennes, bien avant de devenir une célèbre poupée en plastique.
Olga Kharlan n'est définitivement pas «n'importe quoi». Elle est déjà la première sportive à avoir affronté une citoyenne russe, depuis le début de l'agression menée par Vladimir Poutine. (Le tennis étant une exception, puisque les joueurs ne font pas partie d’une délégation officielle.) En 2014, déjà furax contre le Kremlin, elle tentera une incursion en politique, chez les Verts d'Ukraine, aux élections locales de Kiev. Un échec qu'elle relativisera en se concentrant sur son fleuret. Et depuis sa disqualification à Milan, elle incarne plus que jamais un symbole de courage et d'audace.
A Wimbledon, il y a deux semaines, c'est la Russe Victoria Azarenka qui était sortie du court sans serrer la pince de sa rivale ukrainienne. Elle savait, en réalité, qu'Elena Svitolina refuserait le rapprochement physique.
Soutenue par tout un pays, croulant littéralement sous les messages depuis jeudi, l'escrimeuse, quadruple médaillée olympique en individuel et par équipes, ne «souhaite à personne de se retrouver» dans cette situation. En mars dernier, elle avouait qu'il est «intenable» de se concentrer sur des performances sportives, alors que «papa dort depuis un an dans un abri antiaérien par peur des bombardements russes».
Olga Kharlan fait partie des sportives ukrainiennes à considérer que boycotter les épreuves auxquelles participent des Russes «ne sera jamais la bonne solution». Qu'il faut les affronter «sur tous les fronts». Tous les athlètes du pays de Volodymyr Zelensky ne sont pas forcément d'accord.
Ironie du s(p)ort, elle qui, il y a quatre mois, pestait contre sa fédération pour avoir interdit aux Ukrainiens d'affronter les Russes, craignant de ne pas pouvoir rejoindre Paris en 2024, se retrouve aujourd'hui avec un carton noir qui risque précisément de la priver de Jeux olympiques. «Mon pays et mon père sont plus importants qu'une compétition prestigieuse, j'espère que les gens comprendront un jour», dira-t-elle encore, jeudi, avant de s'engouffrer dans les vestiaires, dépouillée de sa victoire, mais la conscience intacte.