Il venait de reconduire Didier Deschamps pour quatre ans à la tête de l’équipe de France, il avait le pouvoir, il était le pouvoir. Pourtant, c’est lui qui a craqué le premier. Dimanche soir sur la chaîne RMC, à l’heure de l’apéro, et cela s’entendait, le président de la Fédération française de football (FFF), Noël le Graët, s’est montré méprisant envers Zinedine Zidane. Il était interrogé sur l’avenir professionnel du plus grand joueur de l’histoire du football français (avec Michel Platini) et il a parlé de lui comme d’un moins que rien: «Zidane au Brésil ? J'en ai rien à secouer», «Je ne l’aurais même pas pris au téléphone». Il n’y en avait que pour Deschamps: «On n’a jamais envisagé de se séparer de Didier.»
💥 Noël Le Graët se lâche sur Zidane dans Bartoli Time sur RMC : "Zidane au Brésil ? J'en ai rien à secouer. Il fait ce qu'il veut, ça ne me regarde pas. Je ne l'ai jamais rencontré. On n'a jamais envisagé de se séparer de Didier." pic.twitter.com/odyOBSQpHF
— RMC Sport (@RMCsport) January 8, 2023
Acculé, Noël le Graët a présenté ses excuses lundi matin dans un communiqué:
La France était rassemblée derrière son équipe, glorieuse finaliste face à l’Argentine. Illusion? Oui, bien sûr, mais il vaut mieux l’illusion de l’unité que le poison de la division. Les mots de Noël le Graët sont si choquants qu’il y aura un avant et un après 8 janvier. «Ça devient dangereux pour l’équipe de France», note le journaliste Abdelkrim Branine, l’ancienne voix vedette de la radio Beur FM et auteur du roman «Le Petit Sultan» (Éditions Zellige), dont le héros est un espoir du football en pleine crise identitaire.
En effet, après de tels propos, qui cassent pour le moins l’ambiance, on voit mal comment Noël le Graët, 81 ans, pourra présider sereinement la fédération jusqu’à la fin de son mandat, qui échoit en 2024. Un départ anticipé n’est plus du tout exclu, d’autant qu’il sera confronté à la mi-février aux conclusions d’un audit voulu par le ministère des sports suite à des allégations portant notamment sur des SMS à caractère sexuel.
L'on risque d'avoir alors la France de Deschamps considérant son protégé «injustement poussé vers la sortie», face à la France de Zidane, qui apparaît comme étant celle aussi de Benzema, le ballon d'or peut-être éconduit au Qatar. Un pays coupé en deux sur des critères identitaires, comme au temps, jamais éteint, de la guerre d'Algérie: la pire configuration possible. Le jeune président du Rassemblement national, Jordan Bardella, tacitement associé à la France de Deschamps, a habilement botté en touche lundi matin sur BFMTV en déclarant que «le Dry January, ce n'est probablement pas le truc de Noël Le Graët». Il n’empêche, l’alcool peut être un puissant désinhibiteur.
🎙 "Le 'Dry January', ce n'est probablement pas le truc de Noël Le Graët."
— RMC (@RMCInfo) January 9, 2023
Jordan Bardella répond aux questions d'Apolline de Malherbe dans le #FaceAFace pic.twitter.com/NMt8pTZBx6
«Les déclarations sans filtre de Noël le Graët sur Zidane sont une métaphore de ce qui se passe de manière générale en France, de façon silencieuse, dans les sphères de pouvoir avec les Franco-Maghrébins», estime la journaliste Nadia Henni-Moulaï, auteure d’un captivant récit familial franco-algérien, «Un rêve, deux rives» (éditions Pocket). «En gros, ce que dit le Graët à Zidane, c’est "casse-toi", c’est ce "cassez-vous" entendu à une échelle plus large et qui s’adresse aux mêmes profils», ajoute la journaliste
Finalement, la polémique risque de rejaillir sur Didier Deschamps. Il aurait pu quitter l’équipe de France en héros après la finale contre l’Argentine, au terme de dix années d'anthologie. Son maintien pouvait déjà apparaître comme un moyen d’écarter Zidane, considéré comme le dauphin naturel au poste de sélectionneur des Bleus. Les paroles insensées de le Graët ne feront que renforcer cette impression.
«La reconduction de Didier Deschamps, partant, la fin de non-recevoir opposée à Zidane, continueront de provoquer l’exode des jeunes binationaux vers les pays dont ils sont originaires par leurs parents, cela se vérifie ces jours-ci, observe Abdelkrim Branine. La forte présence de joueurs noirs en équipe de France ne doit pas faire illusion. Le vivier est si important que beaucoup sont chez les Bleus, mais à côté, beaucoup d'autres choisissent leur deuxième pays, et le maintien de Deschamps devrait accentuer ce phénomène. Alors que quelqu’un comme Zidane, c’est l’assurance d’une personne qui comprend cette France-là.»
Il s’agit à présent de limiter la casse. Il importe pour cela que la classe politique soit unanime à condamner les propos de le Graët, unanime encore à soutenir et Zidane et Deschamps. Afin de ne pas opposer deux France, celle du couscous et celle du pâté. D'autant que manger l'un n'empêche pas de manger l'autre.
Et je vais poser une question écrite demandant sa démission dans les prochaines heures à la Ministre.
— François Piquemal (@FraPiquemal) January 9, 2023
Kylian Mbappé n'est pas seulement une superstar du foot à 24 ans, il se révèle être un politique avisé, tweetant à bon escient, en boss des Bleus:
Zidane c’est la France, on manque pas de respect à la légende comme ça… 🤦🏽♂️
— Kylian Mbappé (@KMbappe) January 8, 2023