Parfois, même la plus belle des histoires a un petit côté tristounet. La Nati est en huitième de finale de la Coupe du monde pour la troisième fois consécutive après 2014 et 2018. Pour la quatrième fois depuis 2006. C'est un beau résultat pour un pays comme la Suisse.
Mais ce succès appelle aussi une exigence. Il convoque une sempiternelle question: la longue attente d'un quart de finale en Coupe du monde est-elle enfin terminée? Le moment est-il venu pour cette génération dorée du football suisse? La Nati connaît le chemin vers le bonheur, peut-elle franchir le tout dernier pas?
Lorsque Murat Yakin est arrivé au centre des médias lundi après-midi, un air de «Il est temps d'écrire l'histoire» a flotté dans la salle de conférence numéro 2. Vladimir Petkovic, Ottmar Hitzfeld, Köbi Kuhn et Roy Hodgson ont tous emmené la Nati en huitièmes de finale de la Coupe du monde. Mais ils ont tous échoué à pousser plus loin. Rappelons-le: le dernier quart de finale des Suisses en Coupe du monde date de 1954.
Ce lundi, les questions pour Yakin étaient donc de nature historique. Est-il conscient de la portée que pourrait avoir une victoire sur le Portugal? Est-ce le plus gros match de sa carrière? On a senti tout de suite que Yakin n'était pas vraiment à l'aise avec ces sujets. «C'est une opportunité unique et nous l'attendons avec impatience. Mais nous devons complètement occulter l'importance de ce match. Ce serait une erreur de nous laisser distraire. Ce qu'une victoire signifierait à titre personnel est également secondaire.»
Tout de suite après, lorsque nous lui avons demandé comment il gérait les attentes grandissantes après une cinquième participation d'affilée à un huitième de finale (inclus les Euros 2016 et 2021), Yakin a répondu:
Au Qatar, la Nati a utilisé (habilement) deux méthodes diamétralement opposées: la défensive face au Brésil et l'attaque face à la Serbie. Il est maintenant crucial de trouver le dosage parfait. Et de dissiper les émotions du match contre la Serbie.
Dans un bon soir, les Suisses en sont capables, ils l'ont prouvé il y a 17 mois à l'Euro. La spectaculaire victoire aux tirs au but contre la France est le plus grand succès de l'histoire de la Nati. «Tout comme la façon dont nous n'avons pas renoncé même après avoir été menés 3-1: c'est ce qui nous rend différents et ce que nous pouvons utiliser désormais comme point de référence», renchérit Remo Freuler.
Immédiatement après cet Euro, Yakin a repris le poste d'entraîneur à Vladimir Petkovic, qui a rejoint Bordeaux. Du FC Schaffhouse aux huitièmes de finale de la Coupe du monde en 18 mois? Yakin est également soumis à cette question. «Je n'en ai jamais rêvé, jamais de la vie, car ce sont des choses impossibles à planifier. Aujourd'hui, je suis juste heureux d'être là avec les gars. C'est pour des moments comme ça que j'aime le sport et ce travail.»
En 2014, lors de la Coupe du monde au Brésil, la Suisse dirigée par Ottmar Hitzfeld a réalisé une solide performance contre l'Argentine en huitièmes de finale: 0-0 pendant la prolongation. Puis Lionel Messi a échappé à la défense, Angel Di Maria a fendu le cœur des Suisses, Blerim Dzemaili a touché le poteau dans les dernières secondes. Le peuple suisse a été fier de cette Coupe du monde. Mais il n'a pas non plus oublié que le football d'Hitzfeld était parfois un peu froid.
En 2018, en Russie, la Suisse a réalisé sa plus faible performance dans un match à élimination directe de l'ère moderne. Tout a manqué dans le 0-1 affreusement ennuyeux du huitième de finale contre la Suède. C'était comme accepter son funeste destin sans émotion. L'affaire de l'aigle bicéphale a sans doute coûté trop d'énergie. Le fait que les Suédois aient été sous-estimés, et que certains se voyaient déjà en quart de finale, a été le dernier ingrédient de ce mélange toxique.
Les éliminations de 2014 et 2018 ont sans aucun doute été amères. Mais le souvenir probablement le plus douloureux de l'histoire récente du football suisse remonte à 2006. Coupe du monde en Allemagne. La Suisse accède aux huitièmes de finale sans encaisser le moindre but. En ce soir du 26 juin, elle rencontre l'Ukraine à Cologne. Le gardien Pascal Zuberbühler se souvient:
Les choses se sont passées différemment. Après un lugubre 0-0, place aux tirs au but. Peu avant la fin des prolongations, Köbi Kuhn sort Alex Frei. Pas un seul Suisse ne marque. L'Italie deviendra championne du monde. Zuberbühler déclare: «Nous n'avons encaissé aucun but et nous sommes éliminés: c'est un record qui durera probablement pour l'éternité». Avec du recul: «A certains moments, je me dis que j'aurais préféré que nous commettions une erreur stupide, au moins nous aurions su pourquoi nous étions éliminés. Il n'y a eu que cette séance de tirs au but. Ce n'était pas si facile à accepter».
Seize ans plus tard, Zuberbühler travaille pour la Fifa. Dimanche, il a rendu visite à l'équipe de Suisse. Son rapport? «Tout roule, l'harmonie règne! Du président au directeur sportif, l'entraîneur, les joueurs, le staff, je sens une unité. La Suisse est tellement prête pour ce huitième de finale...»
L'histoire est là, à portée de crampons. Il ne reste plus qu'à l'écrire sur la pelouse du Lusail Stadium, devant une foule qui peut atteindre 80 000 personnes. Ça commence à 20 heures. Et peut-être que Köbi Kuhn regardera aussi, de tout là-haut. En route pour un quart de finale historique en Coupe du monde.