C'est une réaction typique de Jason Joseph... S'il manque un objectif, le Bâlois peut se lancer dans une auto-critique impitoyable. S'il réussit sa course, ce joli bébé de 1,92 m peut se laisser aller à une désinvolture presque provocante.
Aux Championnats du monde de Budapest, c'est le second Jason Joseph que l'on a vu. Celui qui, comme un footballeur lancé dans un tacle rageur, a décroché la quatrième place de sa série éliminatoire (la dernière place directement qualificative pour les demi-finales) en 13''38, avec un petit centième d'avance sur le Jamaïcain Orlando Bennett.
Le spécialiste des haies, récent champion d'Europe en salle (60 m), n'était pas peu fier de son coup: «C'était une bonne course de ma part, exactement comme on doit l'aborder.»
En privé, Jason Joseph se montre volontiers relax et hâbleur. Il est la décontraction personnifiée, la joie de vivre d'un «Sunny Boy» caribéen. Cette impression ne correspond pas forcément au témoignage de Ditaji Kambundji, sa partenaire d'entraînement au naturel déterminé, qui décrit le jeune homme de 24 ans comme un modèle de sérieux et de professionnalisme.
C'est aussi là un trait de Jason Joseph. Il dit qu'il ne fait pas de l'athlétisme pour réaliser des performances correctes. Avant d'ajouter: «Je ne veux pas gâcher mon temps précieux à l'entraînement, même si je fais parfois des blagues.» Pour ce qui est de son approche, il a eu besoin de quelques échecs pour en changer, le dernier échec étant sa quatrième place aux Championnats d'Europe 2022 à Munich. Il confirme: «Les déceptions m'ont aidé à avoir une autre mentalité.» Il ne s'est jamais préparé avec autant de sérieux et de minutie que lors de cette avant-saison.
Les deux derniers hivers, il les avait passés en Floride, dans un groupe d'entraînement réputé. Mais les deux saisons suivantes ne se sont pas passées comme prévu. C'est pourquoi l'hiver dernier, Jason Joseph est resté à Bâle avec son entraîneur de longue date, Claudine Müller, et a accordé plus d'attention que jamais à chaque détail de son entraînement.
«J'ai amélioré toutes les facettes possibles.» Joseph a par exemple consacré beaucoup de temps à visualiser ses bonnes courses en vidéo, encore et encore. Une façon de chasser définitivement les doutes qu'il a pu ressentir dans le passé, à certains moments importants. A Budapest, il avoue: «On ne saura si la tête suit qu'en demi-finale.» C'est pour ce soir, lundi 21 août, à 20 h 05.
S'il est devenu plus bosseur, Jason Joseph a tout autant besoin de se détendre en dehors du tatami pour compenser. «Et bien sûr, il est plus facile d'être détendu quand on gagne. L'échec me rend impatient.» Son sens aiguisé de l'autocritique après une mauvaise course est totalement naturel à ses yeux: «Je pratique un sport individuel. Je vois mon temps à l'arrivée et je ne peux en rendre personne d'autre responsable que moi.»
Jason Joseph arbore une masse musculaire impressionnante, un tempérament solaire et une attitude décontractée très appréciée. Contrairement à d'autres athlètes, y compris dans le domaine de l'athlétisme, ce fils d'une Suissesse et d'un père de Sainte-Lucie n'a jamais dénoncé de xénophobie à son égard. Tout est donc rose?
«Le racisme n'était pas courant dans ma vie mais il se produisait régulièrement, avoue-t-il. j'y ai été confronté à plusieurs reprises quand j'étais enfant. Cela m'a appris à mieux évaluer qui est vraiment sincère et sympa avec moi dans les bons moments.»
Mais pourquoi n'a-t-il jamais abordé ouvertement ces cas de racisme, en profitant de sa notoriété? «D'une part, parce que la façon d'aborder ces problèmes reste très personnelle. C'est propre à chacun. D'autre part, ce n'est pas parce que je dénoncerais publiquement le comportement raciste de certaines personnes que je le amènerais à penser autrement.»
Son heure de gloire pourrait sonner ce lundi soir à 21 h 40, heure de la finale du 110 m haies. Jason Joseph croit en un exploit. Son objectif n'est rien de moins qu'une médaille et un record de Suisse. Deux objectifs réalistes. «Au moment où le bouton s'enclenchera chez moi, les gens sauront de quoi je parle.»