Si je devais résumer en une phrase mon séjour en Côte d'Ivoire durant la Coupe d'Afrique des nations, j'emploierais ces termes: «Rien ne fonctionne, mais tout va». Cela caractérise tout ce que j'ai voulu entreprendre ces dernières semaines. Rien n'était simple. Mes plans ne fonctionnaient jamais comme prévu. Tout prenait plus de temps. Mais au final, il y avait toujours une solution pour parvenir à mes fins.
Cela a commencé dès la préparation du voyage. «126,50 francs», me demandait-on à l'Ambassade de Côte d'Ivoire à Berne, de manière agacée. Je voyais déjà ma demande de visa être refusée, car je n'avais que 126 francs en espèces sur moi. Cela faisait déjà une trentaine de minutes que nous discutions pour savoir si j'avais bel et bien réuni tous les documents nécessaires.
Nous étions tous les deux énervés. Je ne pouvais évidemment pas le montrer. Il manquait une signature sur l'invitation reçue par la Confédération africaine de football (CAF), ainsi que mon nom sur ma réservation AirBnB. Ma confirmation de vol était imprimée de manière trop petite et mon vaccin contre la fièvre jaune était photocopié de façon trop sombre. Il y avait quelque chose à redire sur tous les documents. Mon interlocuteur ne cessait de se renseigner auprès de l'ambassadeur. Il souhaitait me permettre de voyager dans son pays, mais les règles sont les règles.
Ne restait plus qu'un point à éclaircir: l'argent. Je savais qu'il fallait apporter 120 francs pour les démarches administratives concernant le visa. J'ai en revanche oublié les 6,50 francs permettant de régler la lettre recommandée. L'employé a eu pitié de moi: «ça ira pour cette fois, je t'offre les 50 centimes, mais la prochaine fois, cette liste sera appliquée à la lettre», me disait-il en me montrant les 13 points régissant la demande de visa.
«Ça ira pour cette fois, mais la prochaine fois...»: cette phrase, je l'ai entendue un nombre incalculable de fois durant la Coupe d'Afrique des nations. C'est ainsi qu'ont fonctionné les agents de sécurité et les militaires mobilisés autour des stades. Alors que mon accréditation devait me donner accès à (presque) tout, ils me refusaient d'abord fermement l'entrée. Ils se renseignaient ensuite auprès de leur supérieur, qui s'approchait et me disait: «Ça ira pour cette fois, mais la prochaine fois, ça ne passera pas». J'acquiesçais en guise de remerciement, mais nous savions tous les deux que nous ne nous reverrions pas.
Ce dont je suis sûr maintenant, c'est que rien n'est jamais figé. Tout peut très vite évoluer, et ce, jusque dans les derniers instants. Parfois en bien, parfois en mal.
Ce «on ne sait jamais vraiment ce qui peut arriver» s'applique par exemple au trajet entre mon logement et la grande gare routière, située dans le quartier peu fréquentable d'Adjamé. Le chauffeur de taxi klaxonnait sans cesse. Il forçait le passage, dépassait tantôt par la gauche, tantôt par la droite. Il se mit à jurer contre le trafic dense de la capitale ivoirienne. Puis, soudain, il décida de se garer, afin de soulager sa vessie. Toute une conduite dangereuse pour ça.
Nous sommes malgré tout arrivés à temps à la gare routière, un lieu où la confusion était totale. Je me serais probablement perdu, mais mon chauffeur m'a pris par la main. Il jeta un œil à mon billet, puis me plaça devant la bonne file. Il n'est parti qu'après s'être assuré que j'étais monté dans le bon bus, celui pour Yamoussoukro. Je n'ose même pas imaginer à quel point cela aurait été pénible s'il m'avait simplement déposé à l'entrée.
A Abidjan, j'ai constaté des différences flagrantes. Dans certains supermarchés modernes, je pouvais me procurer des oranges d'Espagne, des mangues venues du Brésil ou même du chocolat suisse, tout en payant par carte de crédit. A deux pas, la traversée de la lagune d'Ebrié en ferry ne me coûtait presque rien. La femme au guichet voulait même savoir si je n'avais pas de plus petites pièces, car elle n'avait pas suffisamment de monnaie.
J'avais parfois l'impression d'être dans un monde parallèle. Je m'en suis réellement rendu compte en me rendant au match d'ouverture entre le pays hôte et la Guinée-Bissau. Des milliers d'Ivoiriens se trouvaient là, à faire la fête en bord de route, sans être en mesure de pouvoir se payer une place dans un stade durant la compétition.
En Suisse, on entend souvent dire qu'il peut être dangereux de partir en Afrique, par exemple en Côte d'Ivoire. Il faut bien sûr éviter certains lieux et respecter certaines règles. Dans l'ensemble, je ne me suis jamais senti mal à l'aise. Je n'ai jamais été harcelé, je n'ai jamais eu l'impression de me faire arnaquer. Bien au contraire. C'est comme partout ailleurs: 99% des personnes sont aimables et serviables. Je l'ai remarqué avec les chauffeurs. Peut-être aussi parce qu'Uber, ou la variante locale, Yango, se sont imposés, ce qui évite les longues discussions sur les tarifs.
Il m'est tout de même arrivé de monter dans des taxis «normaux». Notamment une fois, pour aller au parc national du Banco, une forêt vierge aussi grande que le lac de Zoug, située en pleine ville. Nous avions négocié un prix: 5'000 francs CFA, soit environ 8 francs.
Lorsque je suis remonté dans le véhicule après la visite, et que nous avons fait un léger détour sur demande du guide, le chauffeur m'a alors dit: «Cela fait un total de 14'500 francs CFA (environ 15 francs)». Etonné, j'ai prétendu qu'il me coûtait plus cher que ma femme, ce qui est faux, puisqu'elle est indépendante sur le plan financier. Il m'a alors expliqué que son calcul était «mathématique»:
Un autre chauffeur de taxi m'a directement posé la question fatidique: combien suis-je prêt à payer? Ma réponse? 1'500 francs! Il rétorqua «2'000» et acquiesça finalement à 1'700.
Un troisième m'a posé cette même question après un match à proximité d'un stade. J'ai répondu 3'000, il m'en demanda 5'000. Je pensais m'en sortir pour 4'000, mais impossible: «Il y a tellement de monde ici, quelqu'un me donnera 5'000». J'étais ce quelqu'un.
J'ai vécu de toutes autres expériences dans d'autres pays africains. Mais ici, en Côte d'Ivoire, tout s'est toujours passé de manière calme et détendue. Calme est néanmoins un grand mot pour évoquer Abidjan - ou «Babi» en nouchi, l'argot local - tant la ville est bruyante. Mais je dirais que la Côte d'Ivoire est une excellente première destination pour tous ceux qui souhaiteraient voyager un jour en Afrique.
On me demande souvent ce qui fait l'attrait de la Coupe d'Afrique des nations. Beaucoup ne comprennent pas ma fascination pour l'événement ou n'osent pas se rendre dans l'un des pays organisateurs. Clairement, l'Afrique saisit, elle ne laisse pas indifférente.
Pour moi, chaque CAN est une expérience inestimable. On apprend tellement, et ce, en si peu de temps. On se rend également compte à quel point nous sommes bien en Suisse. Une fois, prononçant mal le nom du quartier, je voulais montrer à un chauffeur de taxi ma destination sur Google Maps. Je lui montrais le nom de l'endroit, jusqu'à ce que je me rende compte qu'il ne savait pas lire. Et là, assis bêtement sur la banquette arrière du taxi, j'ai compris la chance que j'avais d'avoir grandi dans un pays où l'accès à l'éducation est automatique.
A la CAN, je côtoie la plupart du temps d'autres journalistes européens, dans les stades, les transports ou même au restaurant. A chaque fois, on se dit: «On pourra le raconter à la maison, mais si tu ne le vis pas, tu ne peux pas vraiment le comprendre».
Cette année, le retrait de mon accréditation m'a par exemple pris plus de trois heures, alors que dix minutes auraient probablement suffi. Dans la salle, douze personnes étaient assises devant des ordinateurs. Mais elles ne pouvaient pas travailler tant que le chef n'avait pas approuvé les demandes.
Une queue s'est alors formée devant une table où s'attroupaient des gens. L'attente était si longue que nous avancions ensuite de chaise en chaise, pour ne pas rester debout. Il y avait malgré tout des bousculades. Certaines personnes bénéficiaient d'un traitement express. Parfois, quelqu'un arrivait avec une longue liste d'accrédités. Il bloquait tout. D'autres voulaient en venir aux mains. On ne peut pas inventer de telles scènes, personne n'y croirait.
Je rencontre à chaque CAN des difficultés. Celles-ci me désespèrent, parfois même des années après. Mais au final, de tels voyages me donnent tellement en retour. Je ne peux que recommander à tout le monde de se faire une idée par soi-même. Un voyage en Afrique enrichit une vie. Je me réjouis déjà de la prochaine Coupe d'Afrique des Nations, au Maroc en 2025.
Adaptation en français: Romuald Cachod.