Les éternels seconds sont légion dans le sport. Le plus populaire, Raymond Poulidor en connaît un rayon. Il était le perdant magnifique, celui qui se battait jusqu'à n'en plus pouvoir avant de s'avouer vaincu dans un sourire. Son duel avec Anquetil a façonné la légende de «Poupou», le panache plutôt que le palmarès pour ce fils de paysan à l'enfance rude, mais transpirant le bonheur en martyrisant les pédales. Il faut dire que le Français avait eu la vie dure avant de rouler, comme il l'expliquait dans un documentaire de Jean Luret qui lui était consacré: «J’ai côtoyé les hautes sphères: je me suis un peu laissé porter. J’étais heureux, et la victoire m’importait peu».
A notre époque, loin du bitume et de la chaleur du mois de juillet, dans autre sport et une autre saison, Loïc Meillard, lui, n'a pas encore rendu les armes et encore moins avec le sourire. Une enfance plus facile pour le champion d'Hérémence (VS), un déménagement du canton de Neuchâtel aux montagnes valaisannes pour faciliter l'apprentissage du ski.
Des années plus tard, l'athlète de 26 ans continue de s'affirmer, de collectionner les places d'honneur. Mais il manque un petit truc pour régner tout en haut de la hiérarchie. Un éternel second?
Meillard n'est pas Raymond Poulidor, c'est un Jacques Anquetil: un talent brut et un ski qui se rapproche de la perfection du Normand. En Meillard, on retrouve aussi l'élégance et le feeling d'un Michael Von Gruenigen, on retrouve des prises de carre aussi cliniques que la science de course du quintuple vainqueur du Tour de France.
Les qualités techniques du Valaisan forcent le respect, et ses pairs ne s'étaient pas fait prier pour le rappeler. Marco Odermatt en parlait même comme le skieur «à la technique la plus accomplie du circuit».
Le skieur le plus élégant, certes, mais le style ne fait pas gagner des courses et encore moins des titres. S'il continue à faire bonne figure face aux médias, toujours prêt à féliciter ses rivaux, le tempérament du champion fait surface. Les podiums s'enchaînent, mais le sourire devient de plus en plus crispé.
Il n'y a pas de quoi céder à la frustration: ses résultats restent excellents cette saison, avec quatre podiums dans les trois disciplines où il est engagé. Une polyvalence qui le place à la sixième place du classement général. Il avait le sourire jusqu'aux oreilles en montant sur la troisième marche à Val d'Isère, avec cette phrase pour les médias: «Un énorme soulagement». Un dixième podium engrangé qui fera place à un autre (plus surprenant) à Bormio, en super-G.
Le skieur de 26 ans prend confiance et devient aussi régulier qu'un métronome. Il goûte à nouveau aux joies de la «boîte» en claquant une troisième place lors du géant d'Adelboden, avant de commencer à sentir l'impatience lui brûler les entrailles: quatrième pour un centième. Une nouvelle fois, les centièmes si précieux lui sont défavorables.
Dès lors, le discours commence à se transmuer et on devine les premiers signes d'agacement:
Comme une indigestion qui commence à poindre, Meillard commence à troquer son sourire spontané pour celui de circonstance. Wengen n'a rien arrangé d'ailleurs: irrésistible sur le premier tracé, remporté avec 45 centièmes d'avance sur tout le monde, à une manche de la délivrance, les risques pris dans le mur n'ont pas payé, pas dans la seconde.
Dans l'aire d'arrivée, les yeux au ciel et les deux poings qui s'entrechoquent au moment d'apercevoir le «vert» s'afficher, Meillard a vu du rouge (et rouge par la même occasion). Vingt malheureux centièmes derrière Kristoffersen, ces satanés dixièmes qui commencent à peser sur le moral.
A l'heure de l'interview pour la RTS, Fabrice Jaton ose le «Schade!» La pilule est amère, elle passe mal malgré les sempiternels «le ski est là» ou «je ne prends que le positif avec ces deux manches solides». Le sourire de façade est encore de mise, mais au moment de tourner les talons après les questions, le masque refait surface.
Dans la tête, ça gamberge. La victoire peut vite tourner à l'obsession. Poulidor expliquait que si la victoire lui revenait, «il la prenait avec plaisir, mais n’en faisait pas une obsession». Meillard est, après la moue du week-end bernois, définitivement un Anquetil dans l'âme, pour son style clinique qui frôle la perfection, pour son talent brut, et maintenant pour la froideur naissante qui découle de la déveine.
Loïc Meillard n'a pas la trajectoire d'un Raymond Poulidor, ni la place que le cycliste a trusté - et surtout accepté. Le meilleur skieur du plateau (techniquement) est un Jacques Anquetil en puissance, lui-même qui a hérité du surnom de «Mozart du cyclisme». Un écho à un autre exemple (précité) qui colle au skieur valaisan: Michael Von Gruenigen, lui aussi surnommé le «Mozart du géant». Deux exemples qui prouvent que le nom de Meillard rime avec Mozart.