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Marlen Reusser: «Je n'ai pas pris la décision d'abandonner»

Marlen Reusser voit d'un oeil positif l'expérience des derniers Mondiaux.
Marlen Reusser voit d'un oeil positif l'expérience des derniers Mondiaux.image: Andrea Zahler

Marlen Reusser: «Je n'ai pas pris la décision d'abandonner»

Assise par terre, en pleurs, Marlen Reusser abandonnait le contre-la-montre des Championnats du monde de cyclisme en août dernier. La meilleure coureuse du pays revient, quelques mois plus tard, sur ce qu'elle a traversé.
11.12.2023, 06:0211.12.2023, 16:51
Raphael Gutzwiller / ch media
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Marlen Reusser, les images de vous abandonnant, en larmes, assise par terre, lors du contre-la-montre des Championnats du monde ont fait le tour du monde. Près de quatre mois après, quel regard portez-vous sur cette expérience?
Sur le plan émotionnel, ça reste encore proche. Je peux comprendre ce qui m'est arrivée lors du contre-la-montre des Championnats du monde, et pour résumer, je dirais que c'est une expérience instructive.

Vous venez délibérément de dire que cela vous «est arrivée». Vous êtes pourtant descendue volontairement de votre machine.
Pour moi, le choix de la voix passive est correct, car ce n'était pas une décision active. Cela m'est tombé dessus à ce moment précis. J'étais dans une humeur très bizarre depuis un moment, mais je n'ai jamais eu l'idée d'abandonner la course. Consciemment, je n'ai pas pris cette décision.

Marlen Reusser, réconfortée par Edi Telser, après son abandon au contre-la-montre des Championnats du monde.
Marlen Reusser, réconfortée par Edi Telser, après son abandon au contre-la-montre des Championnats du monde.image: Dario Belingheri/Velo

Pourquoi votre humeur était-elle si bizarre avant le point d'orgue de la saison, les Championnats du monde?
C'est probablement difficile à concevoir, mais ce Mondial n'était pas mon objectif principal de la saison. Ce contre-la-montre à Glasgow, je ne l'ai pas attendu avec impatience longtemps à l'avance. Cela n'explique pas ce qu'il s'est passé, mais c'est une pièce du puzzle. Ce n'est pas un hasard si mon abandon s'est produit là-bas.

Avec un peu de recul, on se demande pourquoi vous n'avez pas déclaré forfait avant la course?
Il se trouve que j'ai traversé une période difficile. Nous n'avons pas besoin d'entrer concrètement dans les détails, mais je ne me sentais pas bien. Dans le sport de haut niveau, surtout lors d'un contre-la-montre, c'est tout noir ou tout blanc. Quand on participe aux Championnats du monde, on y va à fond. Avant l'événement, j'avais déjà des doutes, je les ai même partagés avec mon entourage. Mais en partie seulement, parce que je ne voulais pas trop en montrer.

A quoi ressemblaient ces doutes ?
Je manquais de motivation. C'était vraiment difficile pour moi à ce moment-là. Je me suis battue pendant de nombreux entraînements, et même plusieurs courses.

Était-ce une dépression?
Je ne pense pas que cela puisse rentrer dans cette catégorie. En tout cas, moi, je n'arrive pas à l'étiqueter de la sorte. Vous savez, dans la vie, ce n'est pas toujours facile. Tout le monde connaît de telles phases. J'étais au top, mais il y a eu beaucoup d'exigences, avec ma formation, l'équipe nationale, moi-même. Beaucoup de choses ont été réunies, et dans cet état, j'ai moi-même essayé de comprendre ce qui se passait. J'ai eu du mal à réaliser, mon sentiment était même de tout arrêter.

Cet abandon était le signe que quelque chose n'allait pas. Pourtant, trois jours plus tard, vous preniez le départ de la course en ligne des Championnats du monde. Pourquoi?
Je n'avais pas envie de faire de vagues. J'étais déjà là à Glasgow, puis une course sur route, c'est complètement différent d'un contre-la-montre. C'est beaucoup plus ludique, tu es moins exposé, tu n'es pas confronté à toi-même de manière aussi brutale. Le fait d'avoir abandonné dans le chrono m'a vraiment soulagé. C'était comme frapper dans un sac de boxe. En arrêtant, j'ai accepté la situation telle qu'elle était. Auparavant, je m'entraînais contre moi-même, contre ma résistance. Cet abandon a été la première de mes actions pour moi, et non contre moi.

Votre arrêt brutal a suscité un grand intérêt. Au moment où vous avez posé pied à terre, étiez-vous consciente des conséquences?
Les articles où l'on me voyait assise par terre en train de pleurer ont reçu bien plus de clics que ceux où je gagne. Je me demande ce que cela dit de nous. Mais non, ce n'était pas une décision active comme je vous l'ai dit. Il m'était impossible de réfléchir aux conséquences à ce moment-là. Ce n'est qu'après que les éventuelles répercussions me sont venues à l'esprit.

Marlen Reusser pendant l'interview.
Marlen Reusser pendant l'interview.image: andrea zahler

Les médias ont beaucoup débattu pour tenter d'expliquer votre situation.
Ils ont essayé et ils essayent encore - par exemple avec cette interview - de comprendre. Pourtant, c'est difficile à analyser, même pour moi. Parfois, on atterrit brutalement et on doit se remettre en question. Je me suis demandé ce qu'il s'était réellement passé, où j'en étais. Les réponses à ces questions, mon entourage et moi-même essayons de les trouver, mais personne ne connaît la vérité. Certains points sont clairs et nous voulons y travailler.

A quoi pensez-vous?
Il est important de distinguer les courses qui me plaisent en tant qu'athlète et celles où je suis plutôt au service de l'équipe. Cela permet d'adapter la planification de la saison. Le calendrier peut être organisé de manière à laisser de la place pour des pauses ou pour refaire le plein d'énergie. C'est un phénomène bien connu: après un temps fort, on peut tomber bien bas. Cela n'arrive pas seulement aux sportifs, mais à toute la population. Quand par exemple, on étudie pendant des semaines à la bibliothèque en vue d'un examen et que celui-ci se termine, on a besoin d'un moment pour reprendre son souffle.

La solution est-elle donc de réduire le nombre de courses?
Non, là n'est pas la question. Il s'agit plutôt de savoir comment répartir les objectifs, et surtout, trouver les courses pour lesquelles il y a cette petite flamme. Il est aussi important d'avoir du temps après les échéances les plus importantes. Cela n'a pas été le cas par exemple après ma victoire au Tour de Suisse, mon objectif de la saison, ou d'autres grandes épreuves. En fait, nous aurions dû recevoir ces signaux plus tôt de ma part, mais je n'ai pas voulu faire part de mes doutes à mon entourage, ni décevoir. Je suis la dernière personne à avoir une raison de ne pas me sentir bien. En tant que sportive professionnelle et suisse, je suis extrêmement privilégiée, j'ai même beaucoup de succès. Objectivement, il n'y a pas de raison que ça aille mal.

Marlen Reusser from Switzerland of Team SD Worx on her way to win the 3rd Tour de Suisse UCI WorldTour cycling women's race, on Tuesday, June 20, 2023, in Switzerland. (KEYSTONE/Gian Ehrenzeller)
Marlen Reusser, avec sa tunique de leader sur le dernier Tour de Suisse.Image: KEYSTONE

Après cet abandon, avez-vous eu le sentiment de devoir vous excuser?
Oui, je voulais m'excuser et me justifier. J'avais l'impression de devoir m'excuser auprès de certaines personnes qui donnent beaucoup pour que je réussisse sur le plan sportif. Mais j'ai réalisé entre-temps que je n'avais pas à le faire. Tout le monde connaît des hauts et des bas dans la vie.

Quelles ont été les réactions?
Extrêmement positives. Même de la part de personnes que je ne connais pas. J'ai reçu de nombreux courriers, dont des lettres manuscrites, des cartes, des e-mails ou des messages sur Instagram. J'ai été surprise. Lorsque j'ai réalisé ce qu'il s'était passé, je me suis dit que ça allait être le «merdier». J'ai cru que j'allais être critiquée en public pour la toute première fois, je suis reconnaissante que cela ne se soit pas produit.

Pour Swiss Cycling, les Championnats du monde étaient l'événement le plus important de l'année, et vous étiez en bonne voie pour obtenir un résultat de premier plan. Le coût a dû être rude.
Bien sûr, les Championnats du monde sont importants pour Swiss Cycling. Et oui, on attendait de moi un bon résultat. En tant qu'athlète, je ne veux pas que les gens qui me soutiennent soient déçus. Mais ce n'est pas parce qu'une athlète possède une grande valeur que l'on a le droit de s'attendre à ce qu'elle soit performante. Lorsque l'on mise sur une sportive, cela reste un pari. Personne ne sait si le succès sera au rendez-vous. Quelqu'un peut toujours se casser une jambe, devenir dépressif ou ne pas répondre aux attentes pour diverses raisons. Si j'avais chuté ce jour-là, cela aurait été légitime.

Mais quand le problème est d'ordre mental, cela fait les gros titres, cela suscite l'incompréhension. C'est un problème dans notre société.

Vous parlez maintenant ouvertement de vos problèmes. Les avez-vous abordés avec des professionnels après les Mondiaux?
Pas tout de suite. Nous sommes d'abord partis en vacances, puis j'ai recommencé à courir. Mais je savais que j'allais devoir chercher de l'aide. Je suis allé voir une psychologue. J'avais déjà consulté des thérapeutes plus tôt dans l'année, mais là encore, je n'étais pas tout à fait honnête avec moi-même. Je n'ai jamais joué cartes sur table, probablement parce que je savais qu'à ce moment-là, tout se serait arrêté. J'ai changé ça, la situation est désormais différente.

Dans l'esprit du public, cet événement éclipse votre saison. Pourtant, vous êtes bel et bien nommée en tant que sportive de l'année aux Sports Awards. Vous avez connu de grandes choses en 2023: la victoire au Tour de Suisse, six succès en World Tour et vous avez même conservé votre titre européen du contre-la-montre. Quel bilan tirez-vous?
Ma saison a été très positive, vraiment. Même cet abandon a quelque chose de positif, pour moi, personnellement. Il y a bien pire dans la vie et je peux en tirer des leçons. Le reste a été incroyable. Je suis extrêmement fier de tous mes résultats, de mes victoires, de mes 16 podiums au plus haut niveau. J'ai pu montrer cette année ce que j'avais dans le ventre, pourtant, beaucoup pensaient que je n'arriverais jamais à rattraper mon retard.

epa10871661 Swiss rider Marlen Reusser poses with her gold medal on the podium of the women's individual time trials on the first day of the European Cycling Championships in Emmen, the Netherlan ...
Marlen Reusser et sa breloque en or aux Championnats d'Europe.Image: keystone

Vous êtes une coureuse tardive, et vos premiers succès sont arrivés en contre-la-montre, une discipline moins tactique. Est-ce une satisfaction d'être une coureuse de classe mondiale, pas seulement dans l'exercice du chrono?
La satisfaction, ce n'est peut-être pas le bon mot. La joie, oui, elle est en tout cas grande. Et ce qui est bien aussi, c'est que même si j'ai 32 ans, je n'ai toujours pas atteint mon maximum. Je continue de progresser, il est toujours possible de faire mieux. Actuellement, je réussis les meilleurs tests de performance de ma vie. Cela me donne une grande motivation.

Comment envisagez-vous la saison 2024?
Là encore, avec joie. Je me sens vraiment bien. Je n'ai jamais été aussi en forme à ce stade de la préparation. Je suis vraiment impatiente de voir ce que me réserve la saison prochaine. Cette année, j'ai souvent joué les coéquipières. Mais même ainsi, je termine troisième du classement mondial. Mon équipe a suivi mon évolution. Nous avons désormais les meilleures coureuses du monde réunies dans une même formation et je suis encore sous contrat avec la SD Worx pour un an. Je suis impatiente de voir comment la carte Reusser sera jouée en 2024. Et puis, il y a encore deux très grands moments: les Jeux olympiques à Paris et les Championnats du monde à domicile à Zurich. Je me réjouis de ces événements.

Adaptation en français: Romuald Cachod.

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Matthias Aebischer est journaliste. Il est connu en Suisse alémanique pour avoir été le présentateur du téléjournal et d'autres émissions de la SRF dans les années 2000. Âgé de 56 ans (si, si!), il est conseiller national depuis 2011.
source: sda / alessandro della valle
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