Jan Ullrich était au sommet. Elevé dans des conditions précaires en RDA, sans son père qui a fui le domicile familial très tôt, il est passé du statut d'enfant prodige à l'élu - le messie du vélo. En 1993, il devenait à 19 ans champion du monde chez les amateurs, et il est, toujours à ce jour, le seul coureur allemand à avoir remporté le Tour de France. Ullrich, c'est aussi un titre de champion olympique, une Vuelta et un Tour de Suisse.
Lorsqu'il a été soupçonné d'avoir eu recours au dopage, Jan Ullrich a plongé, rejeté par la grande famille du cyclisme. Officiellement retraité depuis 2007, il n'a jamais répondu aux questions, se contenant de dire qu'il n'avait jamais trompé personne. Se voilant la face, il a peu à peu perdu le contrôle de sa vie. Ullrich a commencé à boire, d'abord du vin, puis du whisky. Il a anesthésié ses sens, consommé de la cocaïne, fumé (selon ses dires, jusqu'à 900 cigarettes par jour, en les liant par 20 à l'aide d'un élastique). L'ancien cycliste a même été arrêté pour avoir étranglé une prostituée.
Jan Ullrich a mené une après-carrière au bord de la folie, extrême, excessive. La mort devant lui, son mensonge de vie sur le dos. Le 2 décembre, jour de son cinquantième anniversaire, il déclarait: «J'ai été au paradis et en enfer, je suis de retour sur terre». Avant cela, c'était silence radio pendant des années. Par dépit. Par apitoiement sur son sort. Par colère. Ce n'est qu'à la mi-novembre que Jan Ullrich a prononcé cette phrase qu'il s'était interdite, également par peur des conséquences, publiques et juridiques.
Hormones de croissance, transfusion sanguine, cortisone, EPO. Le tout, pendant dix ans. Durant toute sa carrière. Jamais Jan Ullrich n'a été clean lors de ses succès chez les professionnels. Le grand public lui a pardonné depuis longtemps, avant même qu'il ne se décide à avouer. Peut-être parce que contrairement à Armstrong, tout le monde a pu constater sa déchéance, et voir que ce mensonge l'avait longtemps rongé. Le fait de s'en tenir au récit selon lequel il n'avait jamais trompé personne lui a tout coûté. Sa profession, sa vocation, sa famille sportive, son mariage - et presque sa vie.
Désormais, Ullrich avoue être en paix avec lui-même. Il peut à nouveau se regarder dans un miroir. «La vie me semble plus facile», dit-il. Est-il purifié? Ses remords sont-ils réels? A-t-il vraiment raconté toute l'histoire? Et enfin, peut-on vraiment croire quelqu'un qui a menti pendant une grande partie de sa vie? Ce sont des questions auxquelles tout un chacun peut apporter ses propres réponses depuis que le documentaire en quatre parties Jan Ullrich - Le chassé a été diffusé fin novembre sur la plateforme Amazon. On y voit le champion consommer de la cocaïne, boire du whisky comme de l'eau et tituber aveuglément dans sa finca à Majorque, abandonné par femme et enfants.
Ullrich ne relativise pas, n'enjolive rien. Il ne se cherche pas d'excuses, mais explique comment, jeune et naïf, on lui a «donné le goût du dopage». Comment il a intériorisé cette attitude qui consistait à se doper pour rester dans la course. Ce qu'il ne dit pas, ce sont les noms des personnes qui l'ont accompagné dans ce processus, parce qu'il ne veut pas apparaître comme un traître. Bien qu'il n'assume pas la responsabilité de ses actes et ne se distance pas de l'idée d'avoir été la victime du système, Ullrich reste avant tout un coupable.
Aujourd'hui, l'Allemand est de retour sur la scène médiatique qu'il avait longtemps évitée. Il considère le travail sur son passé comme le point de départ d'une nouvelle vie, sa troisième. Il espère trouver non seulement la paix intérieure, mais aussi une sorte d'absolution, qui aurait déjà été accordée bien plus vite à d'autres, mais pas à lui, comme il le déplore.
Après la fin de sa carrière, Jan Ullrich n'a jamais trouvé une passion à laquelle se raccrocher. Maintenant, il le sait: il s'agit du cyclisme. Cette discipline est, pour lui, à la fois une malédiction et une bénédiction. Malédiction, parce qu'elle l'a presque complètement détruit. Bénédiction, parce qu'elle lui donne une identité. Un passé, un présent et un avenir. Et parce qu'elle a fait de lui un homme riche.
Jan Ullrich est tombé bien bas, mais l'atterrissage s'est fait en douceur, du moins sur le plan financier. Le magazine économique Forbes estime toujours sa fortune personnelle à huit millions de francs. Rien qu'en 2017, dix ans après sa retraite sportive, ses revenus annuels s'élevaient à 5,74 millions de francs. Si ce chiffre est connu, c'est parce que ses comptes ont été détaillés dans le cadre d'une procédure judiciaire pour conduite en état d'ivresse. En 2014, il avait provoqué un accident de la route avec 1,8 gramme d'alcool par litre de sang, alors qu'il se rendait dans sa ville d'adoption de l'époque, Scherzingen dans le canton de Thurgovie.
En juillet, lors du dernier du Tour de France, il a parcouru la Provence durant cinq jours, en compagnie d'un groupe de douze élus. Le coût? 20 000 francs par participant. Autrement dit, en moins d'une semaine, Ullrich a réalisé un chiffre d'affaires de près d'un quart de millions de francs. En 2024, il proposera à nouveau cette sortie exclusive. Reste à savoir à quel prix.
Outre ce documentaire, qui devrait assurer à l'Allemand de nouveaux revenus confortables, nul doute que son autobiographie, prévue pour 2024, lui garantira elle aussi de précieux billets. Jan Ullrich conteste néanmoins avec véhémence ceux qui le taxent d'attirer l'attention pour l'argent.
Lui veut simplement contribuer, aider à mieux comprendre les événements de l'époque, «accomplir quelque chose». Et rendre un peu plus léger le fardeau qu'il porte depuis si longtemps sur ses épaules.
C'est pour cela qu'il se laisse entraîner dans l'espace médiatique comme jamais auparavant. Une interview dans le magazine Stern, une avant-première de son documentaire à Munich, avant une diffusion attendue à Zurich le lendemain. Mais aussi une apparition à la télévision suisse allemande, une double interview dans le magazine Zeit en compagnie de Lance Armstrong, son rival d'antan, devenu ami proche. Les phrases qu'Ullrich prononce sont toujours les mêmes et donnent presque l'impression qu'il les a apprises par cœur. «Sans cette aide (du dopage), ça aurait été comme aller à une fusillade armé seulement d'un couteau», lâche-t-il parfois. Voilà qui claque, qui résonne. Mais ce qu'Ullrich ne dit pas, c'est que personne ne l'a forcé à se rendre à une fusillade couteau en main ni à franchir le pas du dopage.
Lorsque la projection des deux premiers épisodes du documentaire a pris fin à Zurich, quand son ami Georges Kern, directeur général de la marque Breitling, a posé la dernière question, Jan Ullrich s'est tourné vers le public et a dit avec insistance:
Encore une phrase qu'il répète comme un mantra, comme si elle figurait sur une longue liste de messages à faire passer à son public. Jan Ullrich a volé haut et est tombé bas, sportivement, mais surtout personnellement. Ses aveux, cette mise au point sur un mensonge d'une vie, sa vie, n'effacent rien de son passé. Tout cela ramène simplement Ullrich sur le devant de la scène, une situation qui donne à ce héros déchu l'opportunité d'empocher quelques millions supplémentaires.
Adaptation en français: Romuald Cachod.