Les fantômes du passé ont ressurgi après les déclarations de Yannick Prévost, agent de coureurs, au média belge Sporza vendredi dernier, soit deux jours avant la manche française de Coupe du monde de cyclo-cross.
La région dont il parle, c'est la Normandie, un immense bassin laitier où l'on produit, entre autres, le camembert, le pont-l’évêque, le boursin, du beurre et de la crème. La Normandie, c'est aussi une terre de cyclisme. Jacques Anquetil y est né et la voix du Tour Daniel Mangeas en est originaire. Chaque année, on y organise la célèbre classique Paris-Camembert, remportée par Mauro Gianetti en 97, et la Polynormande, au palmarès de Laurent Dufaux et Tony Rominger. Et depuis peu, les Normands ont le plaisir d'accueillir une manche de Coupe du monde de cyclo-cross, à Flamanville dans la Manche. La première édition, tenue en janvier 2022, avait vu la participation du Belge Toon Aerts. Trois jours après, un contrôle hors compétition lui était imposé, révélant par la suite des traces de métabolite létrozole dans ses urines.
Plus tard, une cycliste belge, Shari Bossuyt, s'est également fait attraper par la patrouille. C'était au lendemain du Tour de Normandie femmes, et pour la même substance.
Deux coureurs positifs, après un séjour au même endroit et pour la même substance - beaucoup trop pour n'être qu'une simple «coïncidence», selon Yannick Prévost, agent des deux athlètes. Déjà en juin 2023, il déclarait que ses poulains avaient dormi «dans des hôtels distants de 15 kilomètres», et que «tous deux avaient mangé de la viande et utilisé des produits laitiers dans la même région». L'hypothèse d'une contamination par l'alimentation a donc été défendue.
Voilà pourquoi avant ce week-end de course à Flamanville, Yannick Prévost a demandé à ses athlètes, notamment Michael Vanthourenhout et Toon Vandebosch, de faire preuve de vigilance avec les aliments soupçonnés de contenir du létrozole. Il a ainsi conseillé à ses coureurs «d'apporter toute leur nourriture depuis la Belgique», provoquant colère et indignation chez Stéphane Leclère. Le Président du comité d'organisation de la Coupe du monde de Flamanville a tenu à s'exprimer pour Ouest-France, rappelant qu'«aucun Normand n’a jamais été contrôlé positif à cause de produits laitiers locaux». Amer, il a laissé entendre un brin de mauvaise foi chez les Belges.
Nous y voilà. La théorie avancée par le clan belge est-elle recevable? Peut-on trouver trace de létrozole dans les produits laitiers? En diminuant la concentration en œstrogènes dans le sang, le létrozole augmente la libération de FSH, une hormone qui participe au recrutement et à la maturation des follicules ovariens, dans lesquels se trouvent les ovocytes. Il est donc utilisé dans le traitement de l'infertilité, chez certaines femmes et dans certains pays, notamment en Amérique du Nord, pour déclencher l’ovulation et libérer des ovocytes matures en vue de la fécondation.
Ainsi, le létrozole pourrait être utilisé dans les exploitations agricoles, lors de protocoles de synchronisation des chaleurs. En 2018, une étude impliquant cette substance a d'ailleurs été menée sur des bovins, aux Etats-Unis. Quoi qu'il en soit, selon Yannick Prévost, l'agent de Toon Aerts, des traces de létrozole pourraient être détectables dans le lait des vaches ayant consommé ce produit.
Chez la femme, le médicament est en tout cas contre-indiqué en période d'allaitement, car on ne sait pas si le létrozole et ses métabolites sont excrétés dans le lait maternel.
Yannick Prévost le dit lui-même, sa théorie «n'a pas été confirmée par les analyses en laboratoire». Sans preuve, impossible de réduire la sanction, mieux, de l'annuler. Toon Aerts reste suspendu deux ans, il sera à nouveau autorisé à reprendre la compétition à partir du 16 février 2024. L'affaire, elle, ressemble quand même étrangement à celle d'Alberto Contador et son steak au clenbutérol.