Elle aurait pu facilement invoquer une pointe au mollet ou une autre blessure fictive qui exigeait de ne prendre aucun risque. Mais non. Avec un naturel confondant, Marlen Reusser a expliqué qu'elle n'avait plus envie. Favorite du contre-la-montre des Mondiaux de cyclisme, elle a reconnu que, très vite, en roulant, elle n'en voyait plus ni le sens, ni la fin.
Il est rare qu'un athlète de niveau parle aussi franchement de ses humains. Sans doute que le mot «envie» cache d'autres maux bien moins puérils mais le constat est là: Marlen Reusser a abandonné une course prestigieuse dont elle était la vedette, dans un sport où les occasions d'exister sont rares, pour des raisons connues d'elles seules, sans aucun problème mécanique ou de santé. Parce que c'est comme ça, voilà.
Le matin de la course, elle se sentait déjà «bluesy». «Je voulais abandonner à ce moment-là, reconnaît-elle sur la SRF. Quand il a fallu s'habiller, je n'en avais pas envie. J'ai pris le départ pour les autres, pour tous ceux qui m'ont toujours soutenue.» Marlen Reusser ressentait ce vide depuis plusieurs semaines. «Après le Tour de Suisse, j'ai eu un contre-coup parce que je n'ai même pas eu le temps de pousser un ouf de soulagement.»
La Bernoise s'était imposée à domicile avant de briller également sur le Tour de France, où elle a remporté le contre-la-montre et escorté sa coéquipière Demi Vollering jusqu'à la première place du classement général. «J'aurais peut-être dû m'arrêter plus tôt. Mais j'ai essayé de me ressaisir - pour mes sponsors, pour mon équipe, pour Swiss Cycling, et bien sûr aussi, pour mon état de forme. Tout a bien fonctionné au Tour de France mais maintenant, je réalise que je suis allée trop loin.» Elle aspire à «du temps pour faire autre chose et avoir à nouveau un peu faim».
Le fait qu'elle soit épuisée mentalement est également dû à la saison dernière, où elle a accumulé les maladies et les blessures. Il a fallu rattraper le temps perdu et rogner sur les pauses.
De là à envoyer valser un Championnat du monde... Elle comprend que cet abandon puisse susciter une certaine incompréhension, à commencer par la sienne: «J'étais surprise moi-même.» Mais le plus important pour elle, à 31 ans, est d'être en phase avec ses choix.
En arrivant en Ecosse, Marlen Reusser avait déjà exprimé quelque répulsion à Keystone-ATS. «Je suis bonne en contre-la-montre mais je n'aime pas ça. La grande question demeure: comment développer mon masochisme? Jusqu'à quel point suis-je prête à souffrir?»
Cette question n'a cessé de la poursuivre tout au long des Mondiaux. Car la Bernoise l'admet: «Pour le reste, tout est parfait. J'ai eu une super préparation, je n'ai pas été blessée depuis longtemps, je suis en bonne forme et j'ai encore une fois un meilleur matériel à disposition.» Les jambes étaient légères, le vélo rapide (et vice-versa) mais la tête n'a pas suivi.
Marlen Reusser est convaincue que la motivation reviendra avec le temps et un peu de repos. «Je veux être plus à l'écoute de moi-même et de mon corps. Si j'y parviens, je suis sûre que je remontrai bientôt sur un vélo.» Pour l'instant, elle ne sait pas quand. Elle veut juste «manger quelque chose et dormir un peu». (rm/chd/ats)