Victor Lafay a joué le coup à fond, il avait prévu de partir à la flamme rouge, car la Jumbo-Visma avait déjà bouché des trous sur Pello Bilbao un peu plus tôt et avait sacrifié deux coureurs (Wilco Kelderman et Tiesj Benoot) pour lancer le grand favori Wout van Aert. Ils étaient quatre coureurs de l'écurie hollandaise, dont un certain Jonas Vingegaard, le tenant du titre, seul coureur capable de regarder Tadej Pogacar droit dans les yeux quand la route se cabre.
Si Victor Lafay exultait et donnait aux couleurs Cofidis une victoire que la formation française attendait depuis 15 ans, a contrario, les coureurs de la Jumbo-Visma avaient le masque: Wout van Aert est venu mourir sur la ligne, à un vélo du héros du jour.
La défaite fait partie du cyclisme, elle est même le lot de tous les coureurs. Or, cette fois-ci, elle est amère pour le Belge, abandonné par son chef de file Jonas Vingegaard. A aucun moment, l'ancien poissonnier reconverti en as du vélo n'a pris de relais, pas le moindre coup de pédale dans le vent pour lancer la fusée belge. «Je pense qu'il y aura un petit règlement de compte entre Vingegaard et Van Aert», assurait Jacky Durand sur la chaîne Eurosport.
Le bidon jeté juste après le passage de la ligne traduit cette colère noire. Une scène que Tadej Pogacar himself a rejouée et parodiée devant Adam Yates.
Après l'arrivée, face à son coéquipier Adam Yates, Tadej Pogacar s'est amusé à imiter la frustration du jour de Wout Van Aert. #TDF2023pic.twitter.com/wH3yKoCott
— Le Gruppetto (@LeGruppetto) July 2, 2023
L'ambiance était même électrique. Si bien que van Aert, échaudé, a refusé la moindre interview et pris ses distances à l'issue de l'étape en montant dans une voiture, seul, loin du tumulte médiatique et de son équipe.
Et il y avait de quoi se montrer remonté. Si nous rembobinons le déroulé de l'étape, le couteau suisse de la Jumbo-Visma a été mal payé. Pourquoi? Simplement parce que le (plus?) gros moteur du peloton était le seul «sprinter» à s'en sortir sur les pentes du Jaizkibel et le succès lui tendait les bras. A écraser les pédales, il a transpiré en tête de peloton pour ramener tout le monde sur Pogacar et...Vingegaard après une «mine» sur les derniers hectomètres du col; il s'est «fait la peau» pour boucher les trous, spécialement sur Pello Bilbao. Le Belge a prouvé sa qualité et fait un récital lors de l'étape basque, pendant que Vingegaard collait aux basques du Slovène. Mais le Danois n'a pas de regret et a même opté pour une quasi homélie:
Les passionnés de cyclisme n'ont que peu goûté à la posture du leader. Ne pas rouler avec Pogacar au sommet du Jaizkibel était juste tactiquement, sachant que les secondes (les bonifications) seront précieuses pour le général - Vingegaard n'a pas la pointe de vitesse de son rival slovène et partait perdant dans le duel.
Le Danois était même survolté, en écartant «Pogi» avec les coudes au sommet de la dernière difficulté du jour. En vain.
💥 ¡𝐒𝐀𝐂𝐀𝐍𝐃𝐎 𝐇𝐀𝐒𝐓𝐀 𝐋𝐎𝐒 𝐂𝐎𝐃𝐎𝐒!
— Eurosport.es (@Eurosport_ES) July 2, 2023
⚡ Pogacar le pica tres segundos de bonificación a Vingegaard en Jaizkibel en una batalla bárbara.
🔥 ¡EL ESLOVENO QUIERE FIESTA Y EL DANÉS SE LA NIEGA!#TDF2023 | #LaCasadelCiclismo pic.twitter.com/pAoXutQXIO
Un instinct de tueur qui allait se transformer en égoïsme profond. «Jonas, c'est l'anti-vélo», écrit un internaute. En gérant la menace slovène, Vingegaard se range, se glisse dans le peloton pour ne plus mettre le nez à le fenêtre et laisser Kelderman et Benoot «chasser» avec le vaillant Van Aert.
Tactiquement, c'est juste, et collectivement, c'est raté. Ce 2 juillet 2023 ravive les tensions que la série Netflix avait effleuré lors du Tour 2022. Et même si les deux coureurs n'ont cessé de rappeler que la plateforme avait insisté sur une fausse mésentente pour nourrir une dramaturgie qui n'existait pas, en 2023, elle est cette fois-ci bien réelle. Et tout le monde s'y met pour tacler Vingegaard. Kelderman avouait qu'il manquait «un peu de force» pour boucher l'écart sur Victor Lafay.
A tête reposée, Merijn Zeman, le directeur sportif de Jumbo-Visma, rappelait au départ ce matin devant la presse que «Jonas est un coéquipier parfait et Wout le sait».
Cette tactique défaillante a provoqué l'ire des fadas du beau cyclisme sur les réseaux sociaux. Les suiveurs n'ont pas hésité à rappeler que grâce à Van Aert, Vingegaard a pu ramener le maillot jaune sur les Champs-Elysées.
A San Sebastian, le Danois l'a joué solo et a laissé son ADN de champion à l'égo surdimensionné prendre le dessus. Or il semblerait que c'est la loi dans la maison des jaunes et noirs et tant pis pour les lauriers:
Toujours est-il que l'attitude de Vingegaard en a irrité plus d'un, que son attentisme et son marquage a dérangé de nombreux suiveurs. On est bien loin de la fusée à étage du Granon lors du Tour de France 2022 qui a causé la perte de Pogacar; de cette volonté de tout dynamiter à l'image du football-total pratiqué par l'Ajax d'Amsterdam de Johan Cruyff dans les années 70.
«C'est toujours facile de parler après. Jonas aurait peut-être pu faire plus, mais les critiques dont il fait l'objet sont injustifiées», assurait lundi matin Wout van Aert, juste avant le départ de la troisième étape. Les lances à incendie sont de sortie.
Wout van Aert, a ravalé sa déception et sa fierté par la même occasion, mais il reste dans le coeur des fans le «perdant magnifique» de l'histoire, celui du bon côté de la barrière. Tout le contraire de Vingegaard, dont la tactique de course clinique et individualiste ne passe pas auprès de certains twittos qui le qualifient de «profiteur».
Le torchon va-t-il brûler chez Jumbo-Visma? Wout van Aert est réputé pour être un coureur gentil, mais cet épisode pourrait sûrement le faire changer de comportement et se muer en Vingegaard (bis): en solo, téléguidé par la gagne. Dans une équipe à la puissance collective au-dessus de la moyenne, les égos peuvent briser une entente et faire couler tout un plan. Dans le pire des cas, loin du tribunal des réseaux sociaux, c'est le collectif Jumbo-Visma qui pourrait ne plus adhérer à la méthode Vingegaard.