Et si le football n'était qu'une histoire de mathématiques? Ou de finance, plutôt. Les deux clubs qui se retrouveront en finale de la Ligue des champions le 29 mai prochain sont tout simplement les deux qui ont dépensé le plus d'argent en transferts sur la dernière décennie. 1,86 milliard de francs pour Manchester City et 1,75 milliard pour Chelsea selon le site spécialisé TransferMarkt. Tant pis pour le romantisme.
Une équation financière qui a du mal à passer auprès de certains amoureux du ballon rond. Surtout que tant les Blues que les Citizens sont des nouveaux riches. Le club londonien a été racheté en 2003 par le milliardaire russe Roman Abramovitch tandis que du côté de Manchester ce sont les Emirats arabes unis qui ont investi massivement depuis leur arrivée en 2008. Rappelons qu'il y a vingt ans, City évoluait encore en deuxième division et que le palmarès européen des deux équipes est très peu garni.
Sur Twitter, certains fans anglais (jaloux?) rappellent, d'ailleurs, les claques mémorables reçues par les deux prochains finalistes de la Ligue des Champions face à des équipes «historiques» du championnat comme Middelsbrough (en 2008) ou Nottingham Forest (en 1991).
Chelsea and City being in the Champions League final proves money can buy success pic.twitter.com/xwxAP6vAy5
— Alexei (@MUFC_redarmy99) May 6, 2021
Pour Raffaele Poli, responsable du Centre international d'études du sport (CIES) à Neuchâtel, la distinction entre nouveaux riches et clubs historiques n'a pas vraiment d'importance. «Les grandes équipes comme le Bayern Munich, le Real Madrid, Barcelone, Liverpool, Manchester United ou la Juventus ont tous beaucoup d'argent. Le problème, aujourd'hui, c'est qu'il y a trop d'écart entre les petits et les grands. Au final, ce sont toujours les mêmes qui vont loin dans la compétition», observe-t-il.
L'expert met notamment en avant la domination actuelle des clubs anglais qui profitent de droits TV faramineux (plus de 3 milliards par an!) leur donnant un avantage financier conséquent. D'ailleurs, ce sera la deuxième finale 100% anglaise en trois ans après Liverpool – Tottenham en 2019. Mais Raffaele Poly l'assure, bâtir une équipe à coup de centaines de millions ne suffit pas pour gagner des titres.
«Il faut aussi une stratégie, des compétences, une structure. Pour obtenir des résultats, vous avez besoin de dirigeants qui ont une vision et qui font preuve de patience. Ce qui paie, c'est la stabilité». Ancien international suisse et vainqueur de la Ligue des champions en 1997, Stéphane Chapuisat va dans le même sens: «Etre fort financièrement ça aide mais l'argent ne fait pas tout. Il faut aussi du temps pour former un groupe et que l'entraîneur puisse faire passer son message.»
Mais même la stabilité a un prix, à écouter Grégroy Quin, historien du sport à l'Université de Lausanne. «Etre capable de garder ses grands joueurs plusieurs années, c'est un privilège de riche. Vous n'avez pas de concurrents qui peuvent de surenchérir sur les salaires.»
Lui aussi reconnaît que l'effectif ne fait pas tout pour gagner des trophées et qu'il faut également posséder de bonnes infrastructures et une équipe dirigeante de qualité. «Mais dans notre système néo-libéral, tout s'achète. Le foot ne fait pas exception. City et Chelsea ont investi beaucoup d'argent sur leurs joueurs mais aussi sur des compétences.»
Alors, sommes-nous condamnés à regarder un sport dont le résultat dépend du compte en banque des propriétaires de club? «En tendance, c'est toujours le plus riche qui gagne, mais il reste quand même une petite part d'incertitude même si elle diminue et qu'elle est savamment maîtrisée», pointe Grégory Quin.
Face à ce manque de suspens, l'historien observe une érosion de la passion pour le football. Ce qui n'est pas forcément une mauvaise nouvelle à ses yeux, les droits TV colossaux dont bénéficient certains championnats comme la Premier League étant dépendants de l'attention portée par le public. «Donc, d'une certaine manière, tant mieux qu'il y ait du désintérêt. Cela va peut-être rééquilibrer le système à moyen terme.»