«C'est une issue qui ne nous plaît pas et pour laquelle nous endossons toutes les responsabilités. J'aimerais présenter mes excuses à tous nos supporters qui en attendaient beaucoup plus.» Ces mots sont ceux de Lise Klaveness, présidente de la Fédération norvégienne de football, après l'élimination de sa sélection en 8e de finale du Mondial féminin (1-3 contre le Japon).
Depuis quelques années, demander pardon aux fans après un échec est devenu monnaie courante chez les footballeurs. Avant Lise Klaveness, il y a eu quelques exemples notoires: le gardien de Liverpool Loris Karius suite à ses bourdes en finale de la Ligue des champions 2018; Kylian Mbappé après son tir au but manqué face à la Suisse lors de l'Euro 2021; les Anglais Marcus Rashford, Jadon Sancho et Bukayo Saka après leur échec dans ce même exercice en finale de ce dernier championnat d'Europe face à l'Italie. Flashback.
Victimes d'insultes racistes sur les réseaux sociaux, les trois Anglais font part de leur mal-être. Dans un long message sur Instagram, Rashford s'insurge contre ces attaques et affirme sa fierté d'être noir. Mais il présente aussi ses excuses aux fans pour sa tentative ratée face à Gianluigi Donnarumma:
Une pratique qui n'étonne pas le sociologue du sport de l'Université de Neuchâtel (UNINE) Christophe Jaccoud. «Il existe une culture de l’excuse liée aux réseaux sociaux», analyse-t-il. «Ils créent une sorte de toile d'araignée où les sportifs deviennent très exposés et où chaque utilisateur peut donner son avis. On ne peut plus rien faire sans être vu. Cette situation oblige à rendre des comptes, on ne peut plus simplement détourner le regard devant le mécontentement des autres.»
A la place de Marcus Rashford, l'académicien neuchâtelois ne se serait pas excusé.
Ce constat s'applique aussi à l'élimination des footballeuses norvégiennes. Mais Martin Zinser ne partage pas l'avis de Christophe Jaccoud. «Je trouve la démarche de Rashford positive», applaudit le fondateur de l'agence thurgovienne sportlifeone, qui gère la carrière de sportifs d'élite et notamment leur communication avec les médias. «Il a pris le taureau par les cornes en assumant ainsi son échec, et ça lui permettra d'aller de l'avant et de revenir plus fort, comme il le dit lui-même.»
S'il trouve la réaction de Marcus Rashford normale, «parce qu'il est une personne avec des sentiments et a besoin de les exprimer», le coach en media training est persuadé que l'attaquant des Three Lions n'aurait pas pris cette initiative s'il n'avait pas été la cible d'attaques racistes.
Christophe Jaccoud formule lui aussi une hypothèse: «Je ne suis pas sûr que l'idée de présenter des excuses vienne de Rashford. La fédération anglaise de football pourrait en être à la source». La raison, selon le sociologue neuchâtelois? Comme les autres sélections nationales de premier plan, les Three Lions sont devenus une véritable marque dont il s'agit de soigner l'image. «Il y a par exemple des maillots à vendre», argumente-t-il. «Les supporters d'une équipe nationale sont devenus des clients.»
Chaque entreprise digne de ce nom se dote d'un service après-vente pour parer aux réclamations de ceux-ci. D'autant plus quand les biens ou services proposés sont onéreux, comme le sont les stars du ballon rond. «Avec la hausse de la mercantilisation du football, les joueurs de ce niveau ont aujourd'hui une valeur monétaire très forte», analyse le professeur basé à Neuchâtel. «Les équipes les paient chèrement, alors les fans en attendent beaucoup. Il y a nécessité d'assurer une certaine qualité.» Et les demandes de pardon en ligne y participent.
Après la finale perdue du dernier Euro, le sélectionneur anglais Gareth Southgate a aussi formulé la sienne en avouant lors d'une interview son entière responsabilité dans le choix des tireurs. Des propos tenus dans la fameuse zone mixte, cet espace où les journalistes et protagonistes se rencontrent.
Pour Christophe Jaccoud, ce genre de lieu joue aussi un rôle dans l'incitation à présenter des excuses: «Avant, pour obtenir l'interview d'un acteur du foot, il fallait l'appeler au téléphone ou lui courir après. Mais aujourd'hui, ces dispositifs spatiaux sont mis sur pied dans le but que les sportifs rendent des comptes à la presse et au public, qu'ils passent aux aveux».
🗣 "The penalty takers are my call."
— Football Daily (@footballdaily) July 12, 2021
Gareth Southgate takes full responsibility for the decisions on who took the penalties for England pic.twitter.com/GMdgxdj3v0
Ces déclarations, comme toute publication sur le web, sont enregistrées pour toujours. La portée historique de l'échec est amplifiée. Et on pourra se souvenir facilement, longtemps et sur la planète entière de qui a raté son penalty en l'envoyant sur le poteau lors de la finale de l'Euro 2021, par exemple.
Alors qu'avant l'arrivée d'internet, les amateurs de sport devaient faire davantage travailler leurs méninges ou leurs cassettes VHS pour retrouver les «coupables».
Une réalité numérique qui tranche avec celle du terrain: à Wembley, les malheureux Rashford, Sancho et Saka n'ont pas eu à demander pardon à leurs coéquipiers pour être réhabilités. Ils ont tout de suite été consolés après le traumatisme de la défaite par le sélectionneur et les autres joueurs des Three Lions, tous solidaires. Une attitude, bien sûr, plus constructive que la condamnation.
Deux ans plus tard, Marcus Rashford, Jadon Sancho et Bukayo Saka ont retrouvé le sourire et brillent au sein de leurs clubs et avec l'équipe nationale. A n'en pas douter, ce sera aussi bientôt le cas des footballeuses norvégiennes.
Cet article est adapté d'une première version publiée le 15 juillet 2021 sur notre site.