Ce malaise cardiaque fut aussi soudain et bouleversant que la compassion qu'il a suscitée. En quelques heures, des calicots ont fleuri aux fenêtres du monde entier, jusque dans des contrées rivales, en pensées avec le joueur danois et comme pour rappeler d'entrée de jeu, dès le deuxième match de l'Euro, ce qu'est l'intelligence du coeur. Eriksen est sauf. La morale aussi.
Il y avait des doutes sur sa capacité à rassembler, et c'est comme si Granit Xhaka avait voulu donner cette image-là, cette image prise avant les tirs au but contre la France, sur laquelle il se pose en point de convergence. Le cercle restreint qu'il forme autour de lui, qu'il exhorte à l'audace «(Il est temps d’écrire l’histoire! Je ne veux aucun doute, aucun doute!»), dit tous les malentendus qui peuvent exister entre un personnage et son public. En réalité, Xhaka est plus qu'une voix influente dans un vestiaire. Il est la voie à suivre. Même Petkovic (au milieu à droite) semble l'écouter religieusement.
Les derniers gestes barrière sont tombés sous le coup d'une joie incontrôlable, puis ce furent les masques, puis les chemises, puis le Danemark. A Wembley, 60 000 spectateurs sont venus soutenir l'Angleterre. Etait-ce une folie? Peut-être bien. Mais c'était aussi une foule, et il y a longtemps qu'on n'en avait pas vu de si passionnée, de si follement éprise.
A le voir entrer sur la pelouse comme s'il allait en discothèque, chanter l'hymne italien à s'en décrocher la mâchoire, on peut raisonnablement envisager l'hypothèse que son accolade sur Jodi Alba était un élan d'enthousiasme, au pire un élan mal maîtrisé. Mais Giorgio Chiellini a fait bien plus qu'étreindre le capitaine espagnol. Il lui a ri au nez, lui a pincé la joue, et l'a soulevé comme l'on porte son labrador. Si ce ne sont pas des tripoteries de vieux mariole, c'est parfaitement imité. Voire bien joué. (Décryptage de la scène par un spécialiste de l'intox ici)
Il y avait quand même une certaine provocation à choisir ce match-là, et seulement ce match-là, pour attifer le stade aux couleurs de la cause LGBT. Et c'est bien ce que recherchait le maire de Munich: mettre en lumière la répression qui sévit en Hongrie, au moment où l'équipe nationale était de passage à l'Allianz Arena. L'UEFA s'y est farouchement opposée. Officiellement, elle ne fait pas de politique. Sans doute une autre provocation.
L'un des plus beaux buts de l'Euro: extérieur du pied droit dans la lucarne. L'empreinte de Lukas Modric sur le football moderne. En vingt ans de carrière, le Croate en a marqué des dizaines. Sauf un temps, au Real Madrid, lorsque Rafael Benitez a interdit les extérieurs du pied, au motif qu'ils sollicitent les articulations. Comme si un professeur de chant avait privé Pavarotti de lyrisme pour ne pas abimer ses cordes vocales.
On la savait omniprésente, on la découvre omnisciente, dressée sur ses ergots de maman poule, à piailler contre le père de Mbappé et glousser devant les frères de Pogba, en leur expliquant les bases du football. Le lendemain, symbole d'une France sans queue ni tête, Véronique Rabiot a fait l'ouverture du JT et le déshonneur de son fils Adrien qui, en acceptant de dépanner sur le flanc gauche, s'était tout juste débarrassé de sa réputation de jeune coq (merci maman).
C'est une génération d'entraîneurs portée sur l'élégance, dont le style de management épouse les courbes de leur silhouette: fins, fermes, toniques. Comme d'autres de leurs contemporains (Southgate, Zidane, Tuchel, Simeone), Roberto Mancini et Luis Enrique sont restés fidèles à leur ligne, malgré les tensions et les tentations. Est-ce un hasard s'ils sont autant respectés de leurs joueurs?
On avait presque oublié ce que c'était, le vivre-ensemble...
L'idée partait peut-être d'une bonne intention, mais le bilan (carbone comme sportif) est un petit désastre. Quand des équipes (Suisse) ont parcouru près de 10 000 kilomètres en deux semaines, d'autres (Pays-Bas, Danemark) ne sont pratiquement pas sorties de chez elles. La vie est injuste, certes. Mais ce n'était pas la peine d'en rajouter.