Autrefois, des journalistes cramponnés à leur mégot trainaient dans les bistrots, un calepin planqué sous le manteau, en espérant ramener un tuyau. Aujourd'hui, il y a Fabrizio Romano. Changement de style: barbe au cordeau, portable plaqué sur l'oreille, des infos plein les réseaux. Personne n'est aussi bien renseigné depuis que le mercato est mercato (à prononcer à l'italienne, plus que jamais, depuis l'avènement de Fabrizio Romano).
Son nom est l'un des plus recherchés sur Google depuis l'ouverture du marché des transferts: 26 800 000 résultats en 0,42 secondes. Pas de vidéos zarbis ni de vilains gossips: Romano doit tout à son sérieux. Rien que du sérieux.
Il est né le 21 février 1993 à Naples, trois jours après la Peugeot 306, avec une passion incurable pour le football. Deux expériences douloureuses, à l'adolescence, l'ont convaincu qu'il serait un intellectuel: des matchs où il avait les pieds carrés, et des chantiers où il avait le dos cassé. Comme tout bon footballeur raté, il a choisi le journalisme. Avec un statut d'indépendant (à prononcer «freelance» depuis l'avénement de Clark Kent).
Il a noué ses premiers contacts vers 17-18 ans et n'a cessé de les étendre depuis. Au risque de devenir un fils indigne, il a déménagé à Milan, officiellement «pour rejoindre l'université et s'ouvrir une opportunité à Sky Sport», explique-t-il au New York Times. Mais Milan, c'est aussi le carrefour du mercato, ses rancards à la dérobée et ses secrets d'alcôve, un lieu de rencontres pour les comploteurs et les cachottiers du monde entier.
Par-dessus tout, Romano est considéré comme digne de foi. Contrairement aux apparences (peut-être), les sites spécialisés ne sont pas nombreux à privilégier des valeurs désuètes de fiabilité et de précision. Recommandé pour vous: Santi Aouna, incollable sur le marché français, L'Equipe et The Athletic. Ailleurs, l'info est souvent braconnée puis vendue en gros, sans mention de la provenance. Exemple caricatural avec Zinédine Zidane, annoncé au PSG pendant des mois par des sources dites respectables, sans aucune vérification – ni la moindre négociation entre les deux parties.
Fabrizio Romano a appris de son maître, un journaliste italien de la Sky, que la crédibilité est un fonds de commerce largement sous-estimé. Aussi que «la rapidité n'est pas toujours l'élément le plus important dans une histoire de transfert. En fait, la rapidité est parfois le pire ennemi du journaliste».
Son nom est devenu un label de qualité. Il inspire autant confiance que les abricots du Valais ou les moteurs Volvo. Comme l'écrit un admirateur sur Twitter:
Fabrizio Romano même s'il m'annonce que ma meuf me trompe, je vais directement le croire tellement ses sources sont vraies et fiables🥰
— ACKER’man🇸🇳🦅 (@Gainde_Fatma221) July 15, 2022
Il y a trois étapes décisives dans la carrière de Fabrizio Romano. La première est sa rencontre avec l'agent de Mauro Icardi, avant que ce rôle ne soit repris par l'abominable Wanda. Un article de Sky sur le buteur argentin, alors réserviste au Barça, a facilité son transfert à la Sampdoria. L'agent a promis de renvoyer l'ascenseur. Un peu plus tard, l'arrivée d'Icardi à l'Inter devenait le premier gros scoop de Fabrizio Romano. «L'agent a dit que je l'avais aidé au début de sa carrière et que maintenant, c'était à son tour de contribuer à lancer la mienne», explique le journaliste au New York Times.
Deuxième étape: la collaboration avec The Guardian, une carrière qui s'envole au-delà des frontières italiennes. Tout est parti d'un malentendu. En 2015, le journal anglais annonce que Stevan Jovetic reste à Manchester City. Envers et contre tous, Romano l'annonce à l'Inter. Il remporte le pompon et décroche un mandat de journaliste indépendant freelance au Guardian.
Troisième étape: Bruno Fernandes signe à Manchester United (2020) et Romano comprend par le rayonnement international de son scoop qu'il peut en faire un métier. «De toute façon, je n'avais pas de plan B», avoue-t-il à Eurosport.
Sa notoriété explose en 2021 lorsqu'il révèle le divorce entre Zinédine Zidane et le Real Madrid. Ce n'était pas une projection, une extrapolation ou une supputation. C'était une information. «Là, j'ai quand même kiffé. J'ai regardé mes potes et je leur ai dit: "Bon sang, j'ai donné une exclusivité sur le Real!"»
Avec des infos garanties pur jus, Romano est devenu une référence, puis une célébrité. Ses posts sont guettés, scrutés, partagés et commentés. Bien qu'il collabore à Sky Italia, CBS et The Guardian, le journaliste est affranchi des vecteurs traditionnels par les revenus (confidentiels) qu'il tire de son audience numérique: 18,1 millions de followers sur Twitter, 12 sur Facebook, 1,93 sur Youtube et 525 000 sur Twitch, série en cours.
«Here we go!» La formule triomphante annonce la conclusion d'un transfert annoncé, comme un gros «stempel» AOC. Peu à peu, des milliers de personnes à travers le monde l'ont reprise à leur compte, jusqu'à des grands clubs anglais. Sur son profil, Fabrizio Romano a ajouté un petit copyright ©, au cas où...
Deivid Washington has signed contract and completed medical as new Chelsea player. 🔵🇧🇷 #CFC
— Fabrizio Romano (@FabrizioRomano) August 15, 2023
Official statement soon as deal finally signed with Santos for 2005 striker to join on €16m plus €4m deal.
Here we go, confirmed. pic.twitter.com/8jcxotxH8j
Autre formule culte: «Done deal». A dégainer lorsque les parties sont tombées d'accord sur les modalités. Formule appliquée aujourd'hui à de multiples situations de la négociation ordinaire, sur eBay comme sur Tinder.
Il a des oreilles partout. Avec le temps, ses informateurs (agents, directeurs sportifs, joueurs) ont compris l'intérêt de devancer sa curiosité, de «lui donner du biscuit», selon le langage du jargon, avant qu'il ne fouille dans les placards.
Fabrizio Romano a conscience que grâce aux réseaux sociaux, chacun de ses mots «a un impact mondial sur le football». «Mais en même temps, je ne ressens pas la pression, jure-t-il. Ceux qui ont vraiment du pouvoir sont ceux qui exercent des métiers beaucoup plus exigeants que le mien. Être journaliste sur le marché des transferts, c'est un boulot stressant, difficile, mais beau.»
En période de mercato, son emploi du temps est minuté. Il ne quitte jamais son domicile sans deux ou trois batteries externes et dort comme les marins du grand large, avec des micro-siestes. «Celui qui exerce ce métier sait que dormir est dangereux. Le mercato est toujours en mouvement.» Comme les catamarans.
Il raconte à The Sporting News le jour où il a compris que son téléphone n'avait pas la même énergie. «Je suis allé dans un Apple store pour me plaindre que ma batterie ne tenait pas. Le vendeur a regardé mon téléphone et a dit: "Je travaille ici depuis 13 ans et je n'ai jamais vu un portable aussi utilisé". Donc j'ai acheté des batteries.»
Il revendique des dizaines d'appels et des milliers de messages, 24/24. Pendant toute la durée du mercato, il pense «fote», il dort «fote» et il ne sort pas le samedi soir.
Chaque transfert devient une délivrance. «J'ai suivi pendant des mois les négociations entre Arsenal et Gabriel Jesus. Dans des cas comme celui-ci, quand le transfert est officialisé, c'est une sensation indescriptible. C'est comme marquer un but en finale de Ligue des champions.» C'est un message d'espoir à tous les footballeurs ratés.
Cet article est adapté d'une première version publiée le 11 août 2022 sur notre site.