Granit Xhaka, nous sommes à quatre mois du Championnat d'Europe des nations. Que faudrait-il pour que vous puissiez dire à l'issue de la compétition: "C'était un bon Euro"?
Il faudrait passer les groupes. Nos adversaires sont difficiles (Hongrie, Ecosse, Allemagne, ndlr), mais nous n'avons plus à nous cacher - même si les Allemands ne veulent certainement pas entendre ça. Atteindre les huitièmes de finale est une obligation. Après, nous verrons.
La Nati a traversé une période difficile. Pourquoi tout s'arrangerait soudainement?
Ce n'était pas une période facile. Depuis que je suis international, c'est-à-dire depuis 12 ans, nous n'avons jamais connu une période aussi mauvaise. Mais cette phase peut nous rendre encore plus forts.
C'est un sacré contraste avec ce que vous vivez à Leverkusen. Vous êtes leader de Bundesliga, qui plus est invaincu. Sans doute grâce à une parfaite harmonie. L'ambiance semble moins bonne en sélection, non?
Vous savez, lorsque vous réussissez, l’harmonie vient automatiquement. Quand les résultats sont moins bons, il y a toujours des troubles. Je pense que l'harmonie est bonne en équipe nationale. Mais il est toujours plus facile d'arriver à l'entraînement avec le sourire quand on gagne les matchs.
Et au contraire, lorsque l'on perd, il y a un plus grand risque de voir le capitaine s'exprimer.
C'est pour cela que je suis capitaine. Si le capitaine ne peut parler, qui le peut? Bien sûr, mes critiques n'ont pas été faites au bon moment - nous le savons maintenant. Mais lorsque je dis quelque chose, ce n'est pas dirigé contre quelqu'un, je le fais parce que je veux que nous réussissions.
Pensez-vous que cet épisode a créé un conflit entre vous et Murat Yakin?
Il a été rendu plus grand qu'il ne l'était.
La situation est gérable?
Tout est OK. Les gens qui nous connaissent, Murat et moi, savent à quel point nous sommes unis. Nous parlons du contenu, mais c'est tout à fait normal dans le football. Nous avons une très bonne relation professionnelle.
Y a-t-il des moments où vous vous dites: "Je suis moins reconnu en Suisse qu'en Allemagne"?
Nous connaissons la mentalité helvétique, nous savons comment les Suisses fonctionnent. Je suis né et j'ai grandi là-bas. Je pense que les Allemands sont différents. L'Allemagne est beaucoup plus grande que la Suisse, elle a sa propre mentalité, qui est différente.
Le statut d'un sportif en Allemagne est...
Plus grand, je pense!
Toute l'Allemagne s'enthousiasme pour vous. Qu'est-ce que cela vous inspire?
Comment ça, toute l'Allemagne s'enthousiasme pour moi? Je pense que toute l'Allemagne s'enthousiasme pour le Bayer Leverkusen, en tant que club. Il y a ensuite les louanges individuelles, uniquement parce que nous jouons bien tous ensemble.
Mais vous êtes sous le feu des projecteurs. Il y a l’entraîneur, Xabi Alonso, et votre nom vient après. Christoph Daum, ancien coach de Leverkusen, a récemment déclaré que Granit Xhaka est celui qui va garantir à l'équipe le titre de champion cette saison.
Cela montre surtout à quel point nous travaillons bien. Mais de tels compliments n'apportent rien. Ni au club, ni à moi, ni aux fans. Si cela se passe bien personnellement pour moi à Leverkusen, oui, effectivement.
Vous avez quitté Arsenal l'été dernier. Ce club a un bien meilleur statut que Leverkusen. Est-ce que vous vous dites "J'ai bien fait" à la vue de la tournure des événements?
Beaucoup m'ont reproché d'avoir fait un pas en arrière. Mais je ne l'ai jamais considéré comme tel. J'ai passé sept années merveilleuses à Londres, mais j'ai senti que j'avais besoin d'un nouveau défi, même si j'avais encore un contrat.
Qui?
Ma femme était contre au début. Certes, il a été écrit qu'elle était la raison pour laquelle je voulais revenir en Allemagne. Mais ce n'était pas le cas.
Elle voulait rester à Londres?
Le club était de classe mondiale, les gens super, la ville très belle, mais en tant qu'homme, et en tant que joueur, je voulais un nouveau défi. Le fait que Leverkusen soit proche de la ville natale de ma femme, je n'y peux rien. D'une certaine manière, tout s'est mis en place. J'ai pu convaincre ma femme de m'accompagner. Ou plutôt, elle a failli être obligée de venir avec nous (rires).
Comment évalueriez-vous vos performances cette saison par rapport aux autres années?
Ce n'est pas comme si mes dernières années avaient été mauvaises. Sinon, je n'aurais pas pu réaliser un tel parcours.
Mais encore une fois, comment est-ce que vous vous percevez? Vous avez réalisé une superbe dernière saison avec Arsenal, probablement votre meilleure là-bas. Vous continuez ainsi cette année, et vous ne rajeunissez pas non plus. Est-ce que vous prenez simplement beaucoup de plaisir parce que tout va bien dans votre vie?
Lorsque les choses vont bien, c'est toujours amusant. Mais il y a aussi eu des moments difficiles. Et pourtant, je suis toujours là. Ces expériences n’ont fait que me rendre plus fort. Je ne rajeunis pas, c'est certain, mais je ne vieillis pas non plus. Du moins, je n'en ai pas l'impression (rires).
Y a-t-il une recette?
C'est un secret (rires). Non, blague à part, je me sens bien, vraiment. Je ne me suis pas blessé, je me sens en pleine forme, physiquement et mentalement aussi. Mais ça ne tient pas qu'à moi. Il y a l'équipe, le club, la famille.
Que faites-vous pour ne pas vous blesser? Vous n'avez pratiquement jamais eu de problèmes, à l'exception d'une blessure au ligament interne, lorsqu'un adversaire vous est tombé sur le genou en 2021.
Beaucoup de choses que l'on fait en coulisses ne se voient pas. Je suis devenu beaucoup plus professionnel. Cela vient avec l'âge. A 20 ans, les choses étaient différentes pour moi. Lorsque l'on arrive à un certain âge, on voit les choses différemment. Je mange différemment. Je dors différemment. Même si j'ai deux enfants, je ne dors pas moins bien, je dors mieux. Ce sont des petites choses que je fais différemment.
Avez-vous des exemples concrets?
L'alimentation. Avant, il y avait de la malbouffe. Maintenant, je n'ai peut-être qu'un repas malsain par mois, au lieu d'une fois par semaine.
Et en quoi votre sommeil est-il différent?
Je suis moins stressé, moins nerveux avant les rencontres. Je me dis: "ok, j'ai un gros match demain", mais je ne suis pas excité. L'adrénaline est toujours là, mais il n'y a plus cette nervosité négative.
Vous avez dit un jour que vous faisiez chaque jour des exercices à la maison le matin. Encore aujourd'hui?
Oui. Mince, vous le saviez, je voulais le garder pour plus tard (rires). Les journalistes n'oublient rien! Je fais cela depuis environ cinq ou six ans. Une dizaine de minutes le matin. Yoga n'est peut-être pas le bon terme, mais cela s'en rapproche. Ce sont des exercices de respiration, etc.
Avant, vous faisiez souvent de grands discours. Maintenant, avec Leverkusen, c'est différent. A quand le prochain?
Si je dois à nouveau dire quelque chose, je le ferai. Mais j'ai l'impression que ce n'est pas nécessaire cette année.
Huit points d'avance sur le Bayern, c'est une belle performance. Nous ne pouvons pas encore vous féliciter pour le titre?
Non, absolument pas. J'ai même un super argument. Avec Arsenal, nous avions aussi huit points d'avance sur Manchester City il y a un an. Et nous avons malheureusement perdu le championnat.
En parlez-vous à vos coéquipiers?
Oui. Je dis toujours que le championnat est un marathon. Il faut de la chance, peu de blessures, pas trop de suspensions. Cela a été le cas chez nous jusqu'à présent. Notre effectif est large et fort. L'année dernière, il nous manquait quelques joueurs clés. Nous avons manqué de force dans le sprint final.
Le Bayer Leverkusen n'était pas favori. Il s'agissait clairement du Bayern Munich. Maintenant, avec huit points d'avance, avez-vous tout de même quelque chose à perdre?
Les attentes ont augmenté, c'est clair. Surtout après le match contre le Bayern Munich (victoire 3-0, ndlr). Beaucoup de gens parlent de nous maintenant, tout a l'air super. Mais vous avez raison, nous avons aussi quelque chose à perdre, justement parce que les attentes sont désormais élevées. Mais croyez-le ou non, dans notre vestiaire, personne ne parle du championnat.
Comment avez-vous vécu la défaite du Bayern à Bochum, une semaine après votre victoire face à eux? Vous avez vibré devant la télévision?
Je n'étais pas à la maison, j'ai regardé le match en coup de vent. J'ai vraiment apprécié. Mais nous devons nous concentrer sur nous-mêmes. Tant que nous faisons le job, il n'y a pas besoin de regarder ce qu'il se passe à côté.
Le Bayern Munich est redoutable avec les clubs allemands à chaque mercato. Craignez-vous vous des offres pour Xabi Alonso, Florian Wirtz ou encore vous-même? Comment géreriez-vous cela?
Alonso a déjà été associé au Real Madrid. Mais il n'en a vraiment jamais été question. Nous les joueurs, nous n'avons jamais ressenti qu'il pensait à d'autres projets. Que des gens de l'extérieur essaient de nous inquiéter, oui, c'est bien possible. Mais je pense que notre équipe est solide, même si elle est jeune.
Le Bayern Munich ne vous séduit pas?
Ce qui me plaît, c'est Leverkusen. Je ne me soucie pas du tout des autres clubs. J'ai signé un contrat à long terme jusqu'en 2028, et ce n'est pas pour rien. Je ne m'inquiète pas du tout.
Dernière question. Comment préparez-vous concrètement votre carrière d’entraîneur? Vous coachez une fois par semaine le SC Union Nettetal, un club allemand de cinquième division. Racontez-nous comment cela se passe!
J'ai commencé la formation pour la licence A cet été. Mon beau-frère joue dans cette équipe. Je lui ai donc demandé si je pouvais les rejoindre. Je continue à me préparer avec la Professional Footballers' Association anglaise. Nous avons une session en ligne de façon hebdomadaire. Et une fois par semaine, je peux entraîner l'équipe, quand cela me convient le mieux, en fonction de notre calendrier avec Leverkusen. C'est sympa.
Adaptation en français: Romuald Cachod.