Les éloges pour Granit Xhaka sont venus de la plus haute instance du football allemand.
Ces mots sont ceux de Rudi Völler, actuel directeur sportif de la fédération allemande (DFB), champion du monde comme joueur (1990) et finaliste en tant que sélectionneur (2002).
Ils datent de décembre dernier. Völler commentait alors le tirage au sort de l'Euro et Xhaka venait de mener le Bayer Leverkusen au titre honorifique de champion d'automne en Bundesliga. Depuis, les regards n'ont pas changé en Allemagne sur le capitaine de la Nati.
Après la victoire 3-0 samedi dernier contre le Bayern Munich, il est en passe de devenir champion avec le Bayer et est déjà l'une des grandes stars de la ligue. Et c'est mérité: le Bâlois est actuellement le meilleur joueur sur les terrains allemands. Des preuves? C'est lui qui a réussi le plus de passes dans toute la Bundesliga et il compte le deuxième plus grand nombre de kilomètres parcourus. Outre-Rhin, les fans, observateurs et experts en sont convaincus: Granit Xhaka est au top de sa forme.
Et en Suisse? Beaucoup sont comme Rudi Völler: ils ne veulent surtout pas voir Xhaka sur la pelouse face à l'Allemagne. Mais pas pour les mêmes raisons. Car de ce côté-ci de la frontière, les critiques envers le milieu de terrain sont beaucoup plus sévères. «Dégagez-le! Il prouve sans cesse qu'il n'est pas digne d'être capitaine de la Nati», pestait, par exemple, un lecteur de l'Aargauer Zeitung en novembre, après la laborieuse qualification pour l'Euro. Et il est représentatif d'une grande part des fans helvètes.
Pourtant, Granit Xhaka a mené notre sélection en quart de finale du dernier Championnat d'Europe il y a trois ans et il vient de célébrer le record de capes (121). Lui-même est conscient de cette différence de perception, comme il le laissait comprendre il y a quelques semaines sur DAZN:
Célébré chez notre voisin, seulement toléré – dans le meilleur des cas – dans notre pays. Pourtant, le Bâlois est aussi l'homme qui a touché le plus de ballons en équipe nationale, celui qui a réussi le plus de passes et qui détient le record des kilomètres parcourus. Mais alors, d'où vient cette différence de jugement? Les Allemands, ce peuple aux quatre titres de champion du monde connaissent-ils mieux le football que nous?
Pas vraiment. En fait, Xhaka est vu différemment dans les deux pays parce qu'il y exerce des fonctions différentes et suscite des attentes différentes. En Allemagne, il est un simple footballeur qui montre des performances incroyables. Sur le terrain. On ne lui demande rien d'autre. D'autant plus qu'il joue dans un club peu médiatisé et qui ne polarise pas.
Mais en Suisse, le capitaine de la Nati subit une tout autre surveillance. On ne juge pas seulement sa performance sur la pelouse, mais aussi ses déclarations d'après-match, ses gestes pendant la rencontre ou encore son comportement en dehors du terrain.
Il y a peut-être certaines personnes qui ont du mal avec la composition multiculturelle de la Nati et qui aiment donc s'en prendre au milieu de Leverkusen, d'origine kosovare, sans raison rationnelle.
Mais des critiques visent de manière plus ciblée le Bâlois quand il mime l'aigle bicéphale albanais ou se fait tatouer juste avant l'Euro, malgré une recommandation contraire. Ou encore lorsqu'il se touche l'entrejambe au Mondial contre la Serbie ou qu'il ne se fait pas vacciner contre le Covid. Sans oublier les critiques qu'il a adressées en public au sélectionneur, Murat Yakin, plusieurs fois durant les qualifs pour l'Euro 2024. Dans tous ces moments, Xhaka n'est pas perçu comme un simple footballeur, mais comme un ambassadeur de la Suisse.
Mais il serait réducteur d'expliquer la différence de jugement entre notre pays et l'Allemagne uniquement sur le statut différent du Bâlois. La deuxième partie de la réponse ne se trouve pas dans l'extrasportif, mais tout simplement dans les dernières prestations de Granit Xhaka avec le maillot de la Nati. Combien de fois nous a-t-il donné l'occasion de chanter ses louanges ces derniers temps? Le dernier bon match international du Bâlois, hormis quelques fulgurances, remonte à la victoire contre la Serbie à la Coupe du monde au Qatar, en décembre 2022. Et l'ultime fois où il s'est vraiment distingué, c'était en juin 2021, en huitième de finale de l'Euro contre la France.
Le supporter suisse a le droit de juger Xhaka à l'aune de ses performances en équipe nationale et non de celles en club. Si le capitaine retrouve son niveau avec la Nati, il devrait rapidement se faire à nouveau une place dans le cœur des fans. Au retour de l'Euro 2021, personne n'a dû signer autant d'autographes et prendre autant de selfies que le Bâlois à l'aéroport de Zurich. A ce moment, il était très loin d'être mal-aimé.
Adaptation en français: Yoann Graber