Avant «l'affaire», Mason Greenwood avait toute l'estime de Manchester United. Il était le surdoué de l'académie. Le plus sûr espoir du football anglais. Il n'avait que 20 ans et déjà quelques affaires de aux fesses; mais ses frasques n'étaient pas bien méchantes. Citons les «amies» invitées dans sa chambre d'hôtel pour son premier rassemblement avec l'équipe d'Angleterre.
En janvier 2022, on ne parlait plus de la même chose. Mason Greenwood était mis en examen pour tentative de viol et agression sur sa compagne. L'automne suivant, il était placé en détention pour violation de son contrôle judiciaire. Rebondissement en février: la justice a abandonné toutes les charges contre lui après la découverte d'« éléments nouveaux» et le «retrait de témoins clés».
Manchester United savait que ce verdict de non culpabilité ne l'exonérerait pas un jugement moral. Pour s'y préparer, le club a mené ses propres investigations, avec l'aide d'un cabinet privé. Après six mois d'une «enquête approfondie», selon les termes du communiqué, le board s'est rangé à la conviction que Greenwood n'avait «pas commis les infractions pour lesquelles la justice l'avait inculpé à l'origine». Le club prétend «s'appuyer sur de nombreuses preuves et un contexte qui n'est pas du domaine public».
Pourtant: il a décidé de ne pas réintégrer le joueur - même si la séparation intervient officiellement par consentement mutuel.
Le communiqué est tombé mardi dernier. Mason Greenwood a immédiatement enchaîné avec une lettre d'adieu. Extraits:
Il y a ce que disent les juges et il y a ce que pensent les gens. Manchester United sait ce que peut signifier, pour une opinion publique bien arrêtée, une relaxe motivée par des «éléments nouveaux» et le «retrait de témoins clés». «De nombreuses personnes concluront à un arrangement financier», prédit un avocat spécialisé dans le sport. «Peut-être à raison», ajoute-t-il à contre-coeur.
Avant de déposer plainte, la compagne de Greenwood avait publié des photos de son visage tuméfié et en sang, avec cette légende qui prend le monde à témoin: «A tous ceux qui veulent savoir ce que Mason Greenwood me fait actuellement»
Cette image est entrée dans l'inconscient collectif des sociétés post #MeToo pour s'y figer instantanément, tandis que la plaignante accédait tout aussi spontanément au statut de victime.
Or ici, l'image fait tout. Pour des accusations similaires et même placés sous enquête judiciaire, ni Achraf Hakimi (PSG) ni Wissam Ben Yedder (Monaco) ne sont actuellement inquiétés. Quelle différence? Parce que contrairement à Greenwood, ils ont été placés en garde-à-vue mais jamais en détention. La perception s'en trouve changée: Greenwood, menottes aux poignets et capuche sur la tête, a une gueule de coupable; de même que le visage ensanglanté de sa compagne fait figure de scène de crime.
Personne n'était dans leur chambre ce jour-là. Mais des images aussi fortes s'imprègnent bien plus vite, bien plus facilement et profondément, qu'un rapport détaillé de 120 pages dont les conclusions en donneraient une autre vision.
Manchester United a anticipé cette réaction. Il veut éviter exactement le même tollé qui, depuis le 18 août dernier, agite la petite ville de Lorient, dont le club sans histoire a redonné du travail à Benjamin Mendy - qui en était privé depuis deux ans. En Angleterre, le champion du monde français fut accusé de viols, tentative de viol et agression sexuelle sur sept femmes. La justice a levé tous les chefs d'accusation, dont le dernier le 14 juillet. Cinq jours plus tard, Mendy signait au FC Lorient, après avoir passé quatre mois en détention provisoire et 21 sans salaire.
Au début, le joueur a paru bien intégré, quoique discret. Il a même posé pour des selfies avec de jeunes supportrices. Mais les calicots fleurissent aux abords du Moustoir et ils racontent une autre histoire: «Pas de violeurs dans nos stades», «Soldes d'été: -50% sur les violeurs». Le FC Lorient a déposé plainte pour diffamation et menace de poursuivre en justice toute autre action de ce genre.
Si Mendy devait céder aux pressions, si Greenwood ne trouve pas un point de chute rapidement, leur carrière s'arrêtera là. Tous deux sombreront dans un oubli où beaucoup de gens voudraient déjà les plonger. Leur fin ressemblera à celle de l'international gallois Ched Evans, condamné à cinq années d'emprisonnement en 2012 pour un viol qu'il a toujours nié avoir commis, avant d'en être disculpé. Même dicotomie: il y a les juges qui le déclarent innocent et il y a les gens qui en parlent comme d'un coupable.
La plaignante était une jeune femme de 19 ans qui se trouvait «dans un état d'ébriété trop avancé pour avoir consenti à des relations sexuelles», selon le verdict du tribunal. Evans avait invoqué une relation sexuelle entre adultes éméchés, mais consentants et responsables. Après plusieurs demandes en appels rejetées, un nouveau procès a eu lieu. Evans avait purgé la moitié de sa peine lorsque la Cour de Cardiff l'a déclaré non-coupable.
A sa sortie de prison, il avait 27 ans. Il avait perdu son job à Sheffield et tous ses contacts en Premier League. Il a péniblement décroché un contrat professionnel à Oldham, en troisième division anglaise, avant de fuir la vindicte populaire et de disparaître à jamais des terrains.