Michelle Gisin a vécu un hiver 2024/25 très compliqué sur les skis. L'Obwaldienne (31 ans) n'a jamais terminé dans le top 10 et a fini seulement à la 44e place du classement général de la Coupe du monde. Des résultats indignes de son talent et de son CV.
Pour se vider la tête, elle a mis de côté ses lattes pendant quatre mois. Elles les a retrouvées fin juillet à Zermatt, où elle prépare la nouvelle saison avec l'équipe de Suisse. La double championne olympique du combiné (2018 et 2022) se confie.
Vous faites quoi ce 1er août?
MICHELLE GISIN: Je le passe à Engelberg. C’est non négociable, car ce jour est très important pour moi! Je pense que c’est presque la fête la plus significative à mes yeux. J’adore cette journée. J’aime beaucoup aussi la période de l’Avent, si pleine de recueillement, mais comme elle tombe en pleine saison de Coupe du monde et que le 25 décembre est souvent déjà un jour de voyage, je ne peux pas vraiment profiter de Noël.
C’est différent pour la fête nationale?
Oui, elle est une grande tradition dans notre famille. À Engelberg, il y a une immense fête de village. Enfant déjà, je vendais des poulets au stand du club de ski.
Le 1er août est une journée familiale. Mon compagnon Luca sera là aussi. Nous profiterons aussi de cette occasion pour voir l’état de notre maison, car notre nouveau foyer est en construction à Engelberg. Nous nous réjouissons.
Qu’est-ce qui vous manque de la Suisse quand vous êtes à l’étranger?
Cela peut paraître kitsch ou un peu idéalisé, mais nous vivons vraiment dans un pays préservé, presque un pays de contes de fées. Ce qui me manque personnellement, c’est l’eau potable. À Engelberg, je peux tout naturellement ouvrir le robinet et boire une eau de source d’une qualité exceptionnelle. Ce luxe-là, on ne le trouve pas partout. C’est quelque chose de très banal, mais néanmoins extrêmement important. J’apprécie aussi beaucoup notre climat avec les quatre saisons. Je ne pourrais jamais vivre dans un endroit où c’est l’été toute l’année, par exemple.
Et le caractère des Suisses?
J’apprécie la mentalité réservée. Et pourtant, on peut aussi devenir très euphorique dans le calme, le récent Euro de football féminin l’a bien montré. L’Italien (réd: son compagnon Luca est Italien) aborde les choses de manière beaucoup plus directe. Les deux approches ont leurs bons côtés.
Vous et votre famille (réd: son frère Marc et sa sœur Dominique sont aussi skieurs pros) incarnez ce dont beaucoup de Suisses sont fiers: la réussite sportive et la cohésion familiale. Cela vous met-il aussi une forme de pression supplémentaire?
C’est un rôle très intéressant. Je suis toujours la même personne, même si j’ai été exposée très tôt à la sphère publique à travers mon frère et ma sœur, qui étaient aussi mes modèles.
Cet hiver-là, je me suis classée 25 fois dans le top 10 et j’apparaissais à la télévision presque un jour sur trois en interview. Du coup, j’étais aussi beaucoup plus souvent reconnue dans la vie privée. Cela a été un changement étrange qu’il m’a fallu d’abord appréhender. Je suis certes fière que tant de gens m’abordent au supermarché ou dans la rue, ce sont souvent de belles rencontres. Mais parfois, j’avais du mal à comprendre cela. Car je n’ai pas de recul sur moi-même. Pendant un certain temps, je me suis sentie un peu observée.
Mais c'est sûrement plus agréable de recevoir des félicitations que d’être critiquée sur les réseaux sociaux pour vos performances, comme cela a été le cas l’hiver dernier?
J’ai été surprise de constater combien de personnes semblent sincèrement offensées quand je ne skie pas bien. Je ne savais pas qu’un mauvais résultat de ma part pouvait être aussi grave pour Monsieur Untel. Je comprends la déception, mais pourquoi écrire des commentaires haineux pour autant?
A quel point a-t-il été difficile pour vous d’expliquer encore et encore au public pourquoi cela ne marchait pas?
À un moment donné, on n’a plus d’explication à donner. Moi-même, je ne savais pas vraiment pourquoi ça ne fonctionnait pas. Il faut souvent du temps pour en comprendre les raisons, que ce soit dans l’échec ou dans la réussite. J’ai aussi su cacher mes véritables émotions. Au public, mais parfois aussi à moi-même.
Aujourd’hui, vous semblez à nouveau motivée. Comment surmonte-t-on une période où rien ne va?
Dans la deuxième moitié de la saison, j’allais vraiment mal par moments. S’en sortir n’a pas été simple et a pris du temps. J’avais besoin de recul, et je me suis contrainte à ne pas remettre les skis pendant quatre mois. Dans toute ma carrière, je n’avais pris de pause aussi longue qu’après ma rupture du ligament croisé et pendant une mononucléose.
Qu’espériez-vous de cette pause?
Elle s’est imposée à moi. J’aurais voulu remonter sur les skis au printemps, mais j’ai senti que je retombais encore trop vite dans mes anciens schémas et mes mauvais réflexes. J’ai beaucoup médité durant cette période, j’ai tenté de remettre de l’ordre dans les événements de la saison passée. Il faut parfois se rendre compte que, dans l’absolu, je vais très bien. Je suis en bonne santé, mes proches aussi.
Cet état d’esprit vous permet de relativiser les succès et les échecs sportifs?
On peut entraîner sa gratitude en se rappelant chaque jour les choses pour lesquelles on est reconnaissant. Je ne veux pas me sentir victime de mes pensées négatives sous prétexte que sportivement, ça ne va pas. J’ai d’abord une vie très privilégiée. C’est une chance immense. Mais d’un autre côté: quand on va mal, on va mal! Il faut pouvoir l’accepter. Ce n’est qu’après ce pas qu’on peut relativiser.
Comment avez-vous réussi à relativiser votre saison?
D’abord, j’ai revu mes attentes à la baisse. Avec mes quatre disciplines, c’était un défi particulier. Chaque journée d’entraînement dans une discipline comptait presque pour quatre, car j’avais moins de jours de ski à disposition qu’une spécialiste du slalom par exemple.
Chaque entraînement était d’une importance capitale, et je devais y donner 100 %. L’hiver dernier, cette pression a basculé dans le négatif, entraînant une crispation totale. J’ai essayé tellement de choses, mais rien ne fonctionnait. Parce que j’avais constamment l’impression de devoir améliorer cinq choses à la fois. Très vite, tout repartait dans le mauvais sens, sous un stress immense. J’avais l’impression que toute la pression accumulée au fil des ans me tombait dessus d’un seul coup.
Vous alliez vraiment mal par moments. Après les courses de Garmisch fin janvier, un retrait n’aurait même pas surpris. Etiez-vous proche de cette décision?
J’ai senti que c’était une situation extrêmement difficile pour moi. Tout mon édifice s’effondrait. J’avais du mal à retrouver la motivation et l’enthousiasme qui m’avaient portée pendant des années: ma flamme brûlait beaucoup moins fort qu’à l’accoutumée. Et j’avais aussi le sentiment de l’avoir moi-même étouffée à force. (rires)
Abandonner, cela aurait été renoncer. Et ce chemin-là aurait sans doute été plus facile: me dire simplement que je ne voulais plus m’infliger tout ça. C’est ce que j’ai pensé, par moments, l’hiver dernier. Et j’ai aussi réalisé trop tard à quel point j’allais mal. En réalité, c’était déjà clair en novembre. Après Sölden, j’ai encore fait des entraînements de vitesse qui s’étaient très bien passés. Puis, après les épreuves techniques de Levi, Gurgl et Killington, je suis arrivée à Cooper Mountain trois semaines plus tard, et là je n’arrivais plus à skier. Je ne réussissais même plus une seule courbe correcte. C’était impossible. J’en avais honte et j’étais complètement au fond du gouffre.
Mais ensuite, il y a eu un certain mieux pendant quelque temps.
Oui, à Beaver Creek et aussi à Saint-Moritz, ça a étonnamment bien marché. C’était la seule phase de la saison où je suis partie sans attentes, parce que je savais que de toute façon, rien n’allait.
Et à Zermatt cet été, vous êtes remontée sur les skis pour la première fois. Avec quelles sensations?
C’était une journée très importante pour moi. J'avais beaucoup d'incertitudes. Quelles sensations aurais-je après cette pause? Est-ce que ce serait encore une journée aussi difficile que tant d’autres l’hiver passé?
Et voilà: tout à coup, j’ai pu skier de manière relâchée et posée. Et j’ai enfin ressenti de nouveau à quel point cela pourrait être simple.
Comment concilier l’ambition d’une athlète de haut niveau avec des attentes volontairement basses?
Cela n’a rien à voir avec les résultats. Il s’agit de prendre les jours les uns après les autres, de stabiliser chaque étape au fur et à mesure, et pas de résoudre cinq problèmes d’un coup. Et aussi de me donner le temps nécessaire. C’est ainsi que je me recrée des expériences positives.
La question, c’est juste: où s’est-elle cachée? (rires) Il faut maintenant tout reconstruire, assembler les éléments, retrouver des automatismes. Et voir si je peux, d’ici l’hiver, retrouver le contact avec le sommet mondial.
Adaptation en français: Yoann Graber