«On serait dans les trois premiers du classement, le prochain match serait déterminant pour la promotion et il y aurait au moins 7000 spectateurs à la Maladière». Cette situation, c'est le monde idéal de Jean-Marc Rohrer, ancien directeur sportif de Neuchâtel Xamax (2007-2008) et grand fan du club.
Mais la réalité est aux antipodes: les «rouge et noir» sont derniers de Challenge League et recevront Bellinzone vendredi dans l'indifférence générale, puisqu'ils sont d'ores et déjà assurés de finir lanterne rouge et de disputer le barrage contre la relégation face au premier (ou premier papable à la montée) de Promotion League. Et ce malgré un budget d'environ 5 millions de francs, soit un de plus que celui du leader et (sans doute) futur promu Yverdon.
Pour tout fan de Xamax, un club qui terrorisait l'Europe entière et claquait un doublé en championnat à la fin des années 1980, cette saison cauchemardesque est inconcevable.
Une relégation en troisième division le serait encore davantage. Ce serait tout simplement une triste première dans l'histoire des pensionnaires de la Maladière (ils avaient connu une culbute de Super League en 2e ligue interrégionale en 2012, mais elle était d'ordre administratif après la faillite consécutive à la désastreuse période Chagaev). Mais comment Neuchâtel Xamax, qui militait encore en première division il y a trois ans, a-t-il pu tomber si bas?
Jean-Marc Rohrer voit un responsable principal: Jean-François Collet. «Il n'a rien bâti, il a tout détruit». L'ex-directeur sportif, qui ne cache pas son inimitié avec le propriétaire et président actuel, en a gros sur la patate.
Le Neuchâtelois en veut pour preuve le bilan famélique du club depuis que «Jeff» Collet l'a repris fin 2019: une relégation en Challenge League en été 2020, un sauvetage in extremis en Challenge League l'année suivante lors de l'ultime journée, une insipide 6ème place la saison dernière et, donc, ce 10e rang actuel, avec 13 points de retard sur l'avant-dernier, Vaduz.
Jean-Marc Rohrer a deux reproches principaux envers la direction xamaxienne. Le premier? Le manque de stabilité sportive. «Cette saison, Xamax a utilisé 32 joueurs, c'est beaucoup trop! On ne peut rien construire comme ça. Et il n'y a aucun pilier. En plus, le club ne dispose pas de directeur sportif, cette organisation est nébuleuse», peste-t-il.
Le second concerne le recrutement. «La direction racle sur tout au niveau des finances», poursuit, non sans décolérer, Jean-Marc Rohrer. «Il y a trop de joueurs médiocres». Florian Charlet, journaliste couvrant le club pour le média local Arc Info, dresse le même constat: «Aucun joueur ne sort du lot, sauf peut-être Raphaël Nuzzolo et Danilo Del Toro lors de certains matchs». Il va plus loin:
Et ça se remarque dans les stats: la meilleure gâchette xamaxienne cette saison s'appelle Raphaël Nuzzolo, avec seulement 7 buts, et «les rouge et noir» ont la pire attaque du championnat avec 37 pions en 33 journées, soit 1,12 par match. Nettement insuffisant pour espérer une meilleure position au classement.
Michel Favre est, lui, moins critique envers la direction actuelle. «Je n'ai rien à reprocher à Monsieur Collet», prévient d'entrée l'ancien bras droit – pendant près de 30 ans – et cousin du légendaire président Gilbert Facchinetti. Pourtant, il a la même impression que Jean-Marc Rohrer sur un pan de la gestion du club, mais qu'il exprime avec des mots plus mesurés.
Malgré sa petite frustration, Michel Favre pardonne et, surtout, comprend la frilosité du boss xamaxien.
Oui, l'ombre du cauchemar Chagaev plane toujours sur Neuchâtel. A n'en pas douter, nombreux sont ceux qui préfèrent un club faible sportivement, mais robuste économiquement, plutôt que récolter la poussière d'un vendeur de rêves mégalo.
Et puis, forcément, ces résultats de Xamax aussi catastrophiques qu'inattendus s'expliquent aussi par un peu de malchance. «L'équipe a subi beaucoup de blessures, comme celle par exemple de l'expérimenté latéral Luis Pedro Cavanda, ancien de Galatasaray et du Standard de Liège, qui n'a pu jouer que six matchs», rappelle Florian Charlet.
Les «rouge et noir» ont aussi traîné comme un boulet leur début de saison cataclysmique (0 point lors de leurs sept premiers matchs), qui les a d'entrée plombés au fond du classement et leur a asséné un méchant coup mentalement, après lequel il est toujours difficile de se relever.
D'autant plus si les corps n'ont pas été préparés de manière optimale à encaisser, cette fois au sens propre, la charge. «Sous Andrea Binotto, l'équipe montrait de gros problèmes de condition physique», rembobine Florian Charlet. «Elle a pris beaucoup de buts dans les dernières minutes cette saison», appuie Michel Favre.
Le nouveau coach xamaxien, Uli Forte, débarqué fin avril à la Maladière en remplacement de Jeff Saibene, dispose de deux semaines pour soigner tous les maux – physiques, techniques ou psychologiques – de ses protégés, histoire de les préparer au mieux pour le barrage contre le premier de l'étage inférieur (aller le 31 mai à l'extérieur et retour le 3 juin à Neuchâtel).
S'ils ont besoin de motivation (ou de confiance) supplémentaire, les Xamaxiens pourront toujours jeter un œil au dernier match de barrage que leurs prédécesseurs ont disputé, un certain 2 juin 2019 au Brügglifeld d'Aarau...