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Comment le surdoué Sancho peut-il perdre le zèle et la cuisse?

Manchester United's Jadon Sancho prepares to take a corner during the English Premier League soccer match between Manchester United and Arsenal at Old Trafford stadium in Manchester, England, Thu ...
Jadon Sancho n'est plus réapparu avec Manchester United depuis le 6 octobre 2022.Image: AP

Comment un surdoué de 22 ans peut-il perdre le zèle et la cuisse?

Disparu depuis trois mois, Jadon Sancho a repris l'entraînement avec Manchester United. Il arrive au jeune prodige ce qui guette tous les vieux couples, quand les fantaisies du début deviennent les maux de la fin.
24.01.2023, 18:5424.01.2023, 22:40
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Aux grands maux les petites phrases: «C'est un problème physique et d'humeur.» Voilà comment Manchester United a justifié la disparition de Jadon Sancho, 22 ans, depuis la funeste soirée du 6 octobre. Coupable d'un geste insensé en Ligue Europa, le prodige n'est plus réapparu sur un terrain de football, sans souffrir de quoi que ce soit. Ou rien qui n'apparaisse sur un scanner.

Peu avant lui, Manchester a encore perdu Mason Greewood, 21 ans, pour des faits avérés de viol et d'agression sexuelle. Les blancs-becs cramponnés à leur mégot disent que United n'a pas de chance avec les jeunes. Mais les anciens comme Gary Neville pensent tout au contraire qu'il attire les problèmes, sinon «les mecs à problèmes». Car non content d'être suspendu, Greenwood a replongé («coups et blessures volontaires» sur la même victime). Il n'a jamais revu Old Trafford où tout le monde pense que sa carrière est fichue.

Mason Greenwood.
Mason Greenwood.Image: sda

Peut-être Manchester United a-t-il eu des scrupules à laisser tomber - s'il ne faut pas parler de chute - un autre de ses prodiges. Les médias anglais sont formels: Sancho n'est ni exclu ni puni. Personne ne semble lui trouver la moindre turpitude. Pas Lucien Favre, en tout cas, qui garde le souvenir d'un garçon gentil et à l'écoute, malgré la cour assidue dont il était l'objet à Dortmund.

Son absence depuis trois mois est un mystère qu'Erik Ten Hag a vaguement tenté de dissiper:

«C'est une combinaison entre le physique et le mental»

Depuis son arrivée à Old Trafford, Ten Hag a destitué toute une baronnie de brutes testostéronées (Ronaldo, Maguire) et les faits lui ont donné raison. Il est d'un naturel autoritaire, brave homme de la terre, «pas le genre à se demander si les mouches devraient être des têtards et les têtards des papillons», comme dirait Christian Constantin.

Mais Ten Hag n'est pas le potentat sourcilleux que ses victimes décrivent. Pour Sancho, plutôt que le sortir de sa zone de confort à grands coups de savate, le manager néerlandais a choisi une méthode désuète à base de patience et d'affection. Il a lui a laissé du temps et donné de l'espoir (et vice-versa). «Je ne veux pas forcer le processus. Chaque être est différent.»

Que s'est-il réellement passé ce fameux soir du 6 octobre 2022? Au moment de dribbler ou de chercher la profondeur, Sancho a choisi la passe en retrait vers Tyrell Malacia, qui était marqué de près. Cette lâcheté a coûté le 1-0. De nombreux experts ont pensé ce jour-là que si Sancho n'avait pas le courage d'affronter un défenseur de l'Omnia Nicosie, il n'irait pas loin. Il est sorti à la mi-temps. Ten Hag l'a envoyé aux Pays-Bas pour «changer d'environnement» et il lui a organisé un programme d'entraînement avec des amis sur place. Il lui a trouvé un chien et un psy.

Erik Ten Hag.
Erik Ten Hag.Image: sda

Peut-être cet exil avait-il aussi pour but inavouable de le protéger des critiques - inutilement blessantes - du balcon des Muppets. Paul Merson, ancienne gloire anglaise, a lancé les hostilités: «Ce que propose Sancho actuellement, je peux le faire à 54 ans. Quand l'avez-vous vu s'imposer face à un adversaire pour la dernière fois? Il ne fait pas de course avec la balle, ne la touche quasiment pas à l'intérieur de la surface et joue en retrait. Or ces gars-là sont payés une fortune.»

La remarque de Merson est vacharde; mais pertinente à double titre. D'un, elle pose le constat embarrassant de ces petits princes de Premier League qui, de Jadon Sancho à Kaï Havertz, en passant par Phil Foden, sont devenus des rois de la passe en retrait. Jouer vers l'arrière quand son rôle est de prendre les devants n'est-il pas une façon détournée de fuir ses responsabilités?

Deuxième remarque intéressante de Merson: ces joueurs sont payés une fortune. Et si c'était le fond du problème? Le prix est une étiquette qui colle au maillot de Sancho depuis son transfert à United, une étiquette qui le gêne et qui l'irrite. Certaines personnes sont associées toute leur vie à la même idée. Mike Tyson est l'homme qui mordillait à l'oreille des boxeurs. Steven Gerrard le roi de la glisse. David Beckham le grand blond avec une chaussure noire en pleine poire. Sancho, lui, est le jeun's qui valait 73 millions de livres.

Pour 27 millions de plus, Jack Grealish est arrivé à Manchester City avec un gros poids sur la conscience. «J'ai déjà eu des matchs où je suis sorti en me disant que j'aurais pu changer davantage le cours des événements, qu'on m'avait acheté pour cela, et cher.»

Un célèbre agent de la place en est convaincu: «Certains joueurs assument mal leur prix. Je ne citerai pas de nom, je ne trahirai pas de secret, mais même en Suisse, vous trouvez des joueurs qui comparent leur situation à celle de leurs frères et soeurs et qui, à 7000 francs par mois, culpabilisent de rester sur le banc.»

Pour le prix, les détracteurs de Sancho se sentent libres d'abuser. Il y a les mauvais esprits comme Merson, mais aussi les poucaves comme Lucas Nmecha, attaquant de Wolfsburg, interrogé par Kicker: «À mon époque en Angleterre, l'esprit d'équipe n'était pas très important. Les joueurs faisaient souvent leur truc. (...) Sancho, lui, ne jouait pas au ballon. Il ne faisait aucune passe. Il voulait tout faire tout seul. Sur un terrain, c'est un gars très perso.»

Difficile de ne pas voir une certaine ambivalence affective, sinon une hypocrisie, dans ce «magnifique sport d'équipe» qu'est le football. Un football qui loue le collectif mais achète des individualités. Un football moraliste qui, tout en prêchant de sacro-saints principes de réalité, idolâtre le talent fou, en particulier les aptitudes en un-contre-un (Neymar, Mbappé, Mahrez, Dembélé, etc). Vieille ritournelle de la duplicité ordinaire: les pince-fesses sont remplis de gens qui préfèrent les musées -

Manchester a choisi Sancho pour son insolence et, au quotidien, «on» voudrait qu'il gagne en constance. Qu'il fasse sa part de tâches ingrates. Qu'il arrête de faire le beau et pense un peu «à l'équipe».

C'est un peu ces histoires de couple où les extravagances du début, celles que l'on a follement aimées, deviennent les maux de la fin. Le moment de disgrâce où la bagatelle devient un défaut. Où il ne s'agit plus de grimper aux rideaux mais de descendre les poubelles.

Tout indique ici que Sancho a mal vécu la condition privilégiée à laquelle ses talents le prédestinaient. Des talents forcément fragiles et irrationnels, quelque chose d'un peu abscons que les plus angoissés (ou les plus superstitieux) appellent l'inspiration.

Plutôt qu'emprunter les codes classiques de la rémission publique (souffrir en silence pour mieux gagner en équipe), Sancho s'est empêtré dans ses dribbles et ses questions. Pour résumer la pensée de Ten Hag: il a perdu le zèle et la cuisse.

Ses plus beaux dribbles

Le Néerlandais, dont le surnom est «Le Petit Général,» a choisi un processus individuel qui, tout à la fois, traite des faiblesses physiques et mentales (un mélange de flexions et de réflexions). Sancho a réintégré l'équipe jeudi dernier, avec le sourire, avec encore quelques inhibitions; mais ça (re)viendra.

Comme le rappelle effrontément Ten Hag, «les footballeurs ne sont pas des robots». Encore moins un footballeur comme Sancho, dont les gestes sont appelés à être insensés et imprévisibles et dont, par conséquent, on ne devrait pas s'étonner que les réactions le soient aussi. Une relation durable, même dans le football, ne commence-t-elle pas par une compréhension mutuelle?

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