Ces dix dernières années, les clubs de football ont échangé 41 milliards d'euros sur le marché des transferts, exactement le prix payé pour racheter Twitter ou l'aide d'urgence demandée par l'ONU en 2022. Pas énorme, en somme...
Sauf que tout augmente, même dans le football. L’inflation est telle que pour protéger ses contrats d'une OPA sauvage, comme jadis celle de Paris sur Neymar (222 millions d'euros), Barcelone introduit des clauses libératoires à 1 milliard d'euros (Fati, Pedri, Araujo). «Avec les gens du Golfe, il faut tout prévoir», a justifié le président Laporta, sans aucune ironie.
Les joueurs n'ont rien demandé, ils négocient leur salaire, mais pas leur prix. Reste que ce n'est pas facile à assumer, malgré tout. Pas facile de devenir l'homme qui valait un milliard. Encore moins quand l'acheteur passe à l'acte.
Transféré de Lille pour 25 millions d'euros, Thiago Mendes pensait ne pas valoir une telle somme, et son acquéreur, Lyon, se demande encore s'il n'avait pas raison. Certes, le milieu brésilien est sorti de sa voie de garage pour dépanner en défense, mais il n'a pas servi à grand-chose depuis son arrivée. Il reconnaît que le prix de son transfert a pu exercer une forme d'emprise psychologique.
Sans doute n'est-ce pas un hasard si la déception que suscite un transfert est à la mesure du montant investi. Pas un hasard si les deux joueurs les plus chers de l'été 2021 sont aussi les deux plus grandes déconvenues de la saison, Jack Grealish (118 millions d'euros) et Romelu Lukaku (115 millions).
Jack grealish! What a performance 👏 pic.twitter.com/jJB8SyfPdj
— 🎏FootballLad (@AvfcFella) April 26, 2022
Grealish ne cache pas ses difficultés d'adaptation à Manchester City. Il se dit conscient des attentes liées à son prix, car tout le monde le sait, il en va du concombre bio comme de l'ampli stéréo ou du footballeur pro: ce qui est plus cher est censé être meilleur.
Un jour où il nous dévoilait son budget, «pour te montrer que l'argent ne pousse pas comme les carottes», Christian Constantin nous expliquait que la vente de joueurs représentait jusqu'à un tiers de ses rentrées annuelles. «Si je réussis mes transferts...», pour l'acheteur comme pour le vendeur, l'opération est un risque. Mais d'expérience, le président du FC Sion n'a pas le sentiment que les joueurs s'en portent solidaires: «Quand ils signent un gros contrat, généralement, ils achètent un Cayenne le matin et une Lamborghini l'après-midi.»
Pas tous. Davantage branché vélo, Christophe Bonvin a «toujours eu conscience que mon activité était surévaluée. C’en était presque embarrassant, parfois».
«Je suis convaincu que certains joueurs assument mal leur prix, glisse un agent de la place. Je ne citerai pas de nom, je ne trahirai pas de secret, mais même en Suisse, vous trouvez des joueurs qui comparent leur situation à celle de leurs frères et soeurs et qui, déjà, culpabilisent de rester sur le banc pour 7000 francs par mois.»
A lui seul, Romelu Lukaku cumule 325 millions d'euros d'indemnités de transfert sur l'ensemble de sa carrière, un record dans le football. Mais pour être issu d'une famille très pauvre, le Belge semble détaché de ces questions matérielles. Il ne semble pas considérer que l'investissement de Roman Abramovitch, son ex président milliardaire, soit un risque dont il doive se montrer digne ou, pis, en empathie, si l'on résume la perception générale du Daily Mail.
Même posture de stoïcien chez Joao Felix, passé de Benfica à l'Atlético Madrid pour 126 millions d'euros, le quatrième transfert le plus élevé de l'histoire, alors qu'il avait à peine 19 ans.
Ce n'est pas forcément le cas des supporters qui, si l'on en croit un abonné rencontré au Wanda Metropolitano, s'estiment en droit d'«attendre trois fois plus de buts d'un Felix qui a coûté trois fois plus d'argent qu'un Lemar». Et ils peuvent attendre encore longtemps: Felix a contracté une nouvelle blessure et ne rejouera plus cette saison. Des absences qui commencent à compter, voire à peser.