Il y a toujours eu des soupçons, des histoires, mais ces doutes ont véritablement pris forme le 4 septembre 2008. Ce jour-là, l'ancien attaquant international Stefano Borgonovo, 44 ans, est apparu devant les caméras de «Sky Sport». Frêle nuée dans un lit. Rongé jusqu'à l'os. Relié à des machines pour respirer. Réduit à des battements de paupières pour communiquer. Un homme anéanti et pétrifié. Pour la première fois, le football italien s'est regardé dans le miroir.
A ce moment-là, il y avait des enquêtes, mais personne n'a su expliquer la mort subite de 50 footballeurs professionnels (Borgonovo deviendra le 51e) des suites d'une sclérose latérale amyotrophique, plus connue sous le nom de maladie de Charcot.
Dino Baggio connaît toutes ces histoires. ll les avait un peu «oubliées» mais il vient d'enterrer deux anciens coéquipiers, Gianluca Vialli (58 ans) et Sinisa Mihajlovic (53 ans). Le premier a succombé à un cancer du pancréas, le second à une leucémie. Baggio l'a affirmé mardi soir sur Tv7: il n'est pas tranquille. Il a peur.
Baggio a dû recevoir un coup de fil de ses avocats puisque, mercredi matin, il a reformulé ses propos. «J'aimerais que la science puisse nous apporter des réponses sur les médicaments légaux qui nous ont été administrés, pour récupérer d'une blessure ou retrouver de l'énergie.»
Faut-il rappeler qui est Dino Baggio? Ancien joueur de Parme, de la Juventus et de l'Inter Milan, 60 sélections avec la Squadra Azzura. Bien assez d'expériences et de souvenirs pour savoir qu'on lui en a fait avaler de toutes les couleurs.
L'accumulation de morts suspectes est devenue une affaire d'Etat, l'affaire dite des «veuves du calcio», funeste communauté d'une quarantaine de femmes privées rapidement de leur mari, dont certaines continuent d'investiguer sur les circonstances de la maladie plus de vingt ans après.
Le procureur Raffaele Guariniello fut le premier à commander un rapport scientifique. De nombreuses années plus tard, une commission d'enquête sénatoriale a mis son nez dans la pharmacie de la Juventus, très exactement la Juventus de 1994-1998 dans laquelle évoluait Gianluca Vialli, mais aussi Zinédine Zidane et Didier Deschamps.
Au gré des analyses, il est apparu que les anciens footballeurs professionnels mouraient sept fois plus nombreux, 30 ans plus jeunes, que la moyenne de la population italienne - généralement après une grâve maladie. Les conclusions d'une étude épidémiologique menée sur 170 joueurs a révélé neuf décès précoces, tous imputés à l'absorption de produits dopants.
A partir de ce même échantillon, les scientifiques ont établi que les footballeurs de Série A, B et C, actifs entre 1960 et 1996, ont 35 fois plus de risques de développer une leucémie ou des tumeurs cancéreuses au foie.
C'est ainsi que fut expliquée la disparition soudaine, à 40 ans, de Giorgio Rognoni, milieu de terrain du grand Milan AC. Ou encore celle de Bruno Beatrice, ex-international italien, dans d'atroces souffrances, à l'âge de 39 ans, dont deux à lutter contre une leucémie aiguë.
Parmi les derniers mots adressés à sa femme, Beatrice se serait exclamé: «Mon Dieu, qu'est-ce qu'ils m'ont fait?»
A partir de recherches, puis d'albums Panini, Guariniello a également retracé le parcours médical de plus de 30 000 footballeurs professionnels, pour aboutir invariablement à l'anomalie statistique d'un nombre élevé de décès suspects, souvent foudroyants, dûs à des cancers du colon, du foie, ou de la thyroïde, à une leucémie ou à une maladie de Charcot.
Les footballeurs amateurs sont épargnés par la maladie - ce qui renforce l'hypothèse d'un dopage institutionnalisé, selon les rapports d'enquête. Autre «surprise»: la majorité des malades étaient des milieux de terrain. Ceux qui couraient le plus.
C'est un peu ces histoires, ces doutes, que le cri d'angoisse de Dino Baggio a réveillé. Le sentiment que cette affaire n'est pas terminée et qu'elle continue de hanter des centaines de footballeurs en sursis. Que les veuves du calcio ne trouveront jamais la paix et que l'absence de preuves les réduit peu à peu au silence et à l'impuissance.
Après trois années d'une enquête à grand spectacle, le procès de la Juventus a abouti à la condamnation ferme d'un médecin et d'un pharmacien. Aucun dirigeant n'a été poursuivi, ni même relevé de ses fonctions.