Pour les amateurs de football, Silvio Berlusconi restera d'abord le patron de l'AC Milan, un oeil rieur et un tempérament joueur. Sous son règne viril, «le club du peuple» (par opposition à l'Inter, le club des aristos) a dominé l'Europe avec des équipes brillantes, parfois flashy, que la chronique a alternativement surnommé «les immortels», «les invincibles» ou «les merveilleux».
Il fut un nouveau riche, un arriviste dans le football des vieilles familles, bien avant les émirs et les oligarques. Il avait 50 ans lorsque, avec la bosse du commerce, il a repris l'AC Milan et sa montagne de problèmes pour trois livres/six sous. Un héros? Pas du tout. Mêlé à une obscure affaire de paris truqués, Berlusconi a été accueilli à San Siro par du mépris.
Comme tous les grands managers, il a su s'entourer de personnalités intelligentes et loyales. Ce fut d'abord Adriano Galliani, son fidèle lieutenant, directeur de l'AC Milan avant de devenir sénateur dans le groupe politique «Forza Italia»: les deux hommes ont tout accompli ensemble.
Puis ce fut Arrigo Sacchi, un ancien vendeur de chaussures (mais des chaussures italiennes...), devenu l'un des premiers grands entraîneurs sans aucun CV de joueur. De là cette réplique fameuse, lancée à la caste des adoubés: «Je n'avais jamais réalisé que pour devenir jockey, il fallait d'abord avoir été un cheval.»
Avec Sacchi, l'AC Milan a imposé deux innovations tactiques majeures. La défense en ligne avec un positionnement haut et une maîtrise cynique du piège du hors-jeu, le tout guidé par Paolo Maldini. Plus globalement, un 4-4-2 à plat, compact, conçu pour un pressing étouffant. Cette équipe a remporté deux Ligues des champions en 1989 et 1990.
«Le Milan», comme l'appellent ses intimes, est resté précurseur avec Fabio Capello et Carlo Ancelotti. C'est la grande réussite de Silvio Berlusconi: il a bâti des équipes qui friment et qui gagnent, difficile amalgame de l'autorité et du charme. Aussi tape-à-l'oeil que le PSG (Ibrahimovic, Ronaldinho, Papin) sans les fiascos du PSG (29 trophées) et avec plus de flair pour les trios gagnants (Rijkaard-Gullit-Van Basten).
Avec quatre millions de fans dans toute l'Italie, le club a servi les desseins personnels de Berlusconi. L'homme d'affaires a entretenu l'idée qu'il pourrait gérer le pays comme il a dirigé l'AC Milan, avec un pressing agressif et des actions d'éclat. Souvent associé à Bernard Tapie, son faux frère marseillais, il était de ces néo-entrepreneurs autodidactes et dessalés qui se prêtent à tous les destins, politique, médiatique, économique, artistique, footballistique, et qui, à partir de ces connexions, ont créé un formidable réseau d'accointances.
La rivalité entre l'OM et l'AC Milan fut la saga du début des années 1990, avec pour dénouement la Ligue des champions 1993 remportée par les Marseillais après un long suspense (1-0) et plusieurs scènes litigieuses.
La fin de l'ère Berlusconi fut un peu triste, la même que Tapie à l'OM. Comme s'il y avait un temps pour tout et pour tout le monde. Mais le Cavaliere n'était pas fermé à la modernité puisqu'il a vendu son club à des Chinois - pour 740 millions d'euros.
Pour ses 80 ans, il a racheté l'AC Monza, une lubie de milliardaire oisif, avant d'en confier la charge au fidèle Galliani. Le petit club est passé sans trainer de la troisième division à la Serie A. Avec les mêmes méthodes (identité de jeu forte) et le même goût pour le clinquant (Balotelli).
Dans l'inconscient populaire italien, Silvio Berlusconi laissera cette image-là: celle d'un homme qui relevait un club ou un pays en un clin d'oeil, forcément rieur.