La France a l'En Avant Guingamp, la Suisse les Sports-Réunis de Delémont. Sans doute les deux clubs de foot du monde francophone avec les noms les plus stylés, derrière le Tout Puissant Mazembe au Congo. Et la saison du club jurassien est tout autant réussie que son blase: promus, les SRD vont retrouver la Promotion League – la troisième division – huit ans après l'avoir quittée.
Les Delémontains prennent l'ascenseur avec sécurité: à trois journées de la fin, ils comptaient déjà 11 points d'avance sur leur dauphin Black Stars, qui ne pouvait donc plus les rejoindre. Cette promotion a de quoi rendre les Jurassiens moins jaloux des autres cantons romands: désormais, ceux-ci ont tous au moins une équipe dans les trois premières divisions nationales. L'année passée, c'est le FC Bulle qui avait permis aux Fribourgeois de regoûter au foot semi-professionnel.
«C'est logique que le Jura possède aussi une équipe à cet échelon», se réjouit Jacky Borruat. Le président de l'Association jurassienne de football (AJF) considère cette absence longue de huit ans comme «une anomalie». D'autant plus quand on connaît le glorieux passé des SR Delémont, longtemps pensionnaires de deuxième division et même de Super League durant deux saisons (1999/00 et 2002/03). Mais, depuis, les contingents des deux plus hautes ligues se sont amaigris (20 équipes au total). De quoi laisser sur le carreau des clubs aux moyens limités, comme Delémont.
Même la Promotion League, créée en 2012, fait peu de place aux petits. «Sur 18 équipes, il y en a cinq qui sont des réserves de clubs de Super League, et ceux-ci font tout pour que leurs protégés ne soient pas relégués», observe Jacky Borruat. Difficile, donc, de rivaliser avec ces mastodontes. C'est ce qui explique en partie la culbute delémontaine en 1ère ligue en 2015. Et le chemin du retour a été parsemé d'embûches. «On a repris le club dans une situation catastrophique», rembobine Patrick Fleury, président des SR Delémont depuis mars 2016.
Patrick Fleury explique que son comité et lui (cinq personnes au total) ont passé les deux premières années à assainir financièrement le club. «C'est compliqué quand vous allez demander de l'argent à des sponsors potentiels et qu'on vous répond: "Réglez d'abord vos dettes envers nous, et après on verra", alors que vous n'étiez même pas au courant.»
Mais ils y sont parvenus et ont même espéré des retrouvailles anticipées avec la Promotion League. «On était premiers juste avant l'arrêt du championnat à cause du Covid-19, début 2020. Je suis sûr que si la saison était allée à son terme, on montait», regrette encore Patrick Fleury. S'en suit une saison nettement moins réussie (9e), puis une autre, qui voit les Jurassiens échouer à un point des finales. Pourtant, même s'il s'est soldé par un échec, cet exercice 2021/22 a posé les bases de la promotion.
«Il y a deux ans, on a augmenté le budget pour construire une équipe taillée pour la montée», rejoue le boss delémontain. «Au début de cette saison, on a procédé à des petits ajustements du contingent qui ont rendu l'équipe encore meilleure.» Avec, donc, l'issue heureuse que l'on connaît. Cette équipe, telle quelle, Patrick Fleury l'imagine pouvoir viser le milieu de classement de Promotion League la saison prochaine. «On va probablement engager deux ou trois joueurs semi-professionnels pour la renforcer», anticipe-t-il. Car, oui, le président voit plus grand:
Pour l'atteindre, le président des SR Delémont espère compter sur quelques mercenaires venus de France voisine et un noyau dur de jeunes Jurassiens. Cet ancrage local, Jacky Borruat y tient aussi beaucoup. «Il faudra éviter de faire comme certains clubs qui promettent de faire jouer des jeunes du coins mais qui ne tiennent pas leur parole devant l'urgence de faire des résultats à court terme», prévient le président de l'AJF.
Il souhaite que les SR Delémont poursuivent leur rôle formateur, mais sans tomber dans les mailles d'un réseau de clubs «qui ferait du trading» avec les footballeurs. En Suisse, c'est déjà le cas de Lausanne, Lugano, Thoune, GC et Bienne (qui joue en Promotion League), qui sont tous des clubs satellites reliés à une plus grosse écurie à laquelle ils sont censés céder leurs meilleurs joueurs.
Dans le Jura, un tel projet n'est pas à l'ordre du jour, même si Patrick Fleury veut renforcer le lien avec les grands clubs voisins:
Incroyable!💪💪💛🖤 Champion @SuisseFoot @ElfsportCH #Fussball #football #soccer #promtionleague#Champion pic.twitter.com/8sfFJAnUzx
— SR Delémont 🇨🇭 (@SRD_Officiel) May 8, 2023
En troisième division, le club de la capitale jurassienne disposera d'un budget plus élevé. «Il est actuellement d'environ 900 000 francs pour tout le club», informe le boss des SRD. «Dans l'idéal, on aimerait le faire monter à 1,2 million dont 900 000 francs pour la première équipe.» Parce que oui, promotion rime avec professionnalisation.
Le staff, dirigé par le coach Anthony Sirufo, devrait, lui, rester inchangé. Tout comme une vieille habitude singulière. «On va continuer à fixer nos matchs à domicile le dimanche après-midi». Aucune superstition là-derrière, seulement des raisons pragmatiques. «Historiquement, Delémont a toujours joué le dimanche après-midi, un moment où les autres équipes, même celles d'autres sports, ont congé», enchaîne Patrick Fleury.
Le président, toujours avec le sourire au bout du fil, voit un autre avantage à taper le cuir le jour du Seigneur:
Patrick Fleury estime entre 700 et 800 le nombre moyen de spectateurs à la Blancherie cette saison. Parmi eux, il y a forcément des enfants et des ados avec des rêves plein la tête, et chaque échelon gravi par l'équipe locale a de quoi alimenter ceux-ci. «Oui, cette promotion peut créer une émulation dans le canton», se réjouit Jacky Borruat, le président de l'Association jurassienne de football. C'est l'occasion pour les jeunes d'avoir plus d'ambitions et, pour ceux qui y sont déjà, de s'endurcir face à des adversaires plus coriaces.
Mais en fait, jusqu'où peuvent raisonnablement aller les SR Delémont? «La Challenge League», s'avance Jacky Borruat, «mais seulement si le club est très bien organisé et avec les infrastructures adéquates.» Patrick Fleury se veut rassurant sur ce dernier point: «Le stade de la Blancherie est homologué jusqu'en Challenge League, y compris l'éclairage. On bénéficie, en plus, de deux terrains synthétiques neufs et de notre propre vestiaire.» Lui aussi table sur la deuxième division pour les «jaune et noir» d'ici cinq à dix ans.
Si ce rêve se concrétise, les fûts des buvettes de la Blancherie risquent de se vider rapidement, même les samedis soirs!