En passant à côté de la carrosserie de Metin Karagülle à Collombey-Muraz (VS), le regard des amoureux de belles voitures est forcément attiré par la collection de véhicules vintage exposée à l'intérieur. Mais difficile de croire que c'est ici aussi qu'est en train de s'écrire une petite part de l'histoire de l'équipe suisse de football. Et pourtant...
Le propriétaire des lieux est un fada de foot, auquel il a consacré une grande partie de sa vie. Il y a quelques mois seulement, Metin Karagülle était encore l'entraîneur-assistant du Vevey-Sport (1ère ligue). Avant cela, il a coaché Azzurri Lausanne, Aigle ou encore Karabükspor en troisième division turque. La Turquie, justement, il y est né et l'a quittée à 8 ans avec ses parents pour venir vivre à Monthey. Un pays avec lequel il a gardé des liens forts, au point d'avoir eu l'idée un brin mégalo d'organiser un remake du match Suisse - Turquie de l'Euro 2008 avec les acteurs de l'époque (défaite helvète 1-2 à Bâle).
Le Valaisan est allé au bout de son projet: le 9 septembre, «la quasi-totalité de la sélection turque de 2008», selon ses mots, défiera des ex-stars suisses au stade de la Tuilière à Lausanne lors d'un match de gala.
L'idée est d'autant plus folle que les deux pays partagent un passé récent tumultueux en termes de football. Personne n'a oublié le match du 16 novembre 2005 à Istanbul, où les membres de la Nati avaient été agressés physiquement par leurs hôtes dès le coup de sifflet final, juste après avoir arraché leur billet pour le Mondial 2006.
Mais c'est justement cet incident qui a convaincu Metin Karagülle d'aller au bout de sa démarche. «Ce match du 9 septembre sera celui de la paix», pose calmement le Valaisan, confortablement installé dans son fauteuil en cuir.
Ce rendez-vous lausannois sera d'ailleurs symbolique à plusieurs égards. «J'aurais pu organiser cette journée à Vevey ou Genève, par exemple, mais j'ai choisi Lausanne, car c'est dans cette ville qu'a été signé le traité de 1923, donnant à la Turquie ses frontières actuelles», précise Metin Karagülle.
Si l'ex-défenseur de la Nati Stéphane Grichting, principale victime des incidents d'Istanbul (urètre sectionné) ne sera pas présent («Il nous a affirmé qu'il serait venu, mais il a un empêchement», souligne l'organisateur), Fatih Terim, lui, sera bel et bien de la partie. Le sélectionneur turc de l'époque, qui coachera les siens à la Tuilière, avait été l'un des initiateurs des agressions. «Quand il a su que tous ses anciens protégés viendraient à Lausanne, il n'a pas hésité», se réjouit Metin Karagülle.
Ce dernier a eu l'idée de cet événement en avril, quelques semaines après le terrible séisme qui a fait plus de 50 000 morts en Turquie et Syrie et laissé des milliers de personnes dans des conditions extrêmement précaires. «Tous les bénéfices générés le 9 septembre à Lausanne seront destinés aux victimes», explique le Chablaisien.
C'est avec cette visée caritative qu'il a pu obtenir le soutien de ses nombreux contacts dans le football, en Suisse et en Turquie. «J'ai d'abord contacté Berkan Kutlu, joueur de Galatasaray qui a grandi à Monthey et que j'ai bien connu ici», rembobine-t-il. «Lui-même a récolté des dons pour les victimes du séisme. Il m'a ensuite orienté vers son coach personnel, qui a travaillé pendant onze ans à la fédération turque de football.»
Et puis, c'est l'effet boule de neige: l'ancien employé de la fédé fait jouer ses contacts, à commencer par l'ex-gardien international Volkan Demirel. L'actuel entraîneur d'Hatayspor a une bonne raison d'accepter très rapidement de venir jouer ce match en Suisse: la ville de son club, Antakya, a été très durement touchée par le séisme. Il a ensuite convaincu plusieurs ex-coéquipiers de le rejoindre. «Comme toutes les personnes qui permettent à cette manifestation de vivre, les footballeurs turcs participent bénévolement», assure Metin Karagülle.
Côté suisse, il a pu compter sur Johann Vogel, «un ami» et ancien capitaine de la Nati, pour motiver les troupes. Patrick Müller, Gelson Fernandes, Johan Vonlanthen, Hakan Yakin ou encore Kubilay Türkyilmaz (parrain de l'événement) ont d'ores et déjà officialisé leur participation. Niveau sponsors, l'entrepreneur chablaisien s'est également appuyé sur son réseau: à côté du démarchage, plusieurs associations turques en Suisse lui prêtent main-forte.
Une sonnerie interrompt la discussion au milieu de la carrosserie. Le portable de Metin Karagülle. «Excusez-moi», lâche-t-il poliment. S'en suivent plusieurs minutes d'un dialogue en turc. «C'est justement l'ancien employé de la fédération», explique l'organisateur après avoir raccroché. Son téléphone sonnera encore plusieurs fois le temps de notre interview.
Car, à dix jours de l'événement, Metin Karagülle doit encore régler pas mal de détails. Y compris celui du gardien suisse. «C'est l'une des raisons qui nous a fait choisir de commémorer le match de 2008 plutôt que celui de 2005. Les portiers de la Nati de 2005 n'étaient pas disponibles. Mais on a ensuite appris que Benaglio, dans la cage en 2008, fêtait son anniversaire le 9 septembre», soupire-t-il.
Mais le Montheysan – qui affirme travailler «entre 18 et 20 heures par jour depuis deux mois» pour sa manifestation – ne désespère pas et, avec deux amis venus l'aider un peu plus tard à la carrosserie, ils épluchent leur répertoire histoire de trouver la perle rare. «Depuis le week-end passé, je suis aussi en contact avec une star du rap français. S'il vient, on remplit le stade!», s'emballe Metin Karagülle, qui préfère garder le nom de l'artiste secret.
Redevenu calme (réaliste?), il avoue espérer vendre 3000 billets (toutes les places sont à 49 francs) pour son événement. Soit seulement 2000 de moins que le dernier match du Lausanne-Sport à la Tuilière, dimanche passé face à Winterthour. Ce serait déjà une belle réussite et certainement suffisant pour soulager quelques personnes en Turquie et Syrie.