Soudain, Roberto Firmino vient voir Fedayi San. Il a quelque chose à lui dire. L'attaquant brésilien demande à l'arbitre argovien de siffler comme en Premier League anglaise. Autrement dit: de manière un peu moins sévère.
Cette scène a lieu à Djeddah, en Arabie saoudite. Outre Firmino, plusieurs footballeurs issus de grands clubs européens sont présents sur la pelouse.
Désormais, ils évoluent tous dans ce pays du Golfe. Voir autant de stars dans ce duel entre Al-Ahli et Al-Tai – comptant pour la 4ème journée de Saudi Pro League – était encore impensable il y a peu. Mais le monde du football a changé cet été. Certains vont jusqu'à dire qu'il a été ébranlé dans ses fondements, car les Saoudiens l'inondent d'argent et attirent des vedettes comme Roberto Firmino (Al-Ahli), qui a longtemps joué à Liverpool.
Al-Ahli est un club de Djeddah, la deuxième plus grande ville d'Arabie saoudite. Si Firmino y joue aujourd'hui, c'est parce qu'à 31 ans, il n'a pas pu résister à l'appel des millions de pétrodollars. C'est aussi le cas de Riyad Mahrez, tout frais vainqueur de la Ligue des champions avec Manchester City, ou du gardien Edouard Mendy. Lui aussi a soulevé la coupe aux grandes oreilles, avec Chelsea en 2021.
La liste de ces stars est longue. Et pour cause: Al-Ahli a dépensé cet été quelque 190 millions de francs en transferts. Il est l'un des quatre clubs que l'Etat saoudien a choisi comme fers de lance de sa Saudi Pro League.
Autant dire que l'argent n'est absolument pas un problème dans le royaume: près d'un milliard de francs ont été dépensés cette année rien qu'en transferts, auxquels s'ajoutent des salaires faramineux. Tous ces frais sont financés par le fonds souverain saoudien (PIF). Et qui en profite? Des stars comme Neymar, Sadio Mané ou Roberto Firmino. Cristiano Ronaldo, lui, est là depuis cet l'hiver.
D'habitude, Fedayi San siffle en Super League suisse, mais ce soir de fin août 2023, l'Argovien (40 ans) a répondu à une invitation de l'Arabie saoudite. L'Association suisse de football (ASF) collabore depuis des années avec les Saoudiens. Il y a un échange d'arbitres entre les deux fédérations: des officiels suisses dirigent trois ou quatre matchs par an dans le royaume. Fedayi San s'y est déjà rendu plusieurs fois – la première en 2017 – et toujours en compagnie d'autres arbitres suisses.
Depuis cette année, tout est différent: la Saudi Pro League accueille désormais des stars et veut devenir un grand championnat. Mais quel est le niveau réel actuel de cette ligue? Et quid de l'ambiance dans les stades?
Fedayi San a pu observer la situation au plus près, directement sur la pelouse. Il parle d'une «infrastructure de pointe», qui prouve à quel point les Saoudiens prennent leur championnat au sérieux. De stars motivées qui ne sont pas venues uniquement pour gagner de l'argent. D'un stade plein et d'une ambiance bouillante comme en Grèce ou en Turquie, pyrotechnie comprise.
La Super League suisse? L'objectif des Saoudiens n'est pas de concurrencer le foot helvétique. Ils veulent rapidement faire partie des cinq meilleures ligues du monde. Mais la chaleur étouffante, 41 degrés ce soir-là, rend la tâche difficile. «C'est brutal, on le remarque rapidement chez les joueurs», témoigne Fedayi San. Il a ordonné une première pause pour boire après seulement 15 minutes de jeu.
Al-Ahli l'emporte finalement 2-0. Au total, l'arbitre suisse a sorti trois cartons jaunes et un rouge. Outre Firmino, l'Argovien a échangé quelques mots avec le défenseur international turc Merih Demiral, qui a eu du mal à croire qu'il puisse trouver dans la péninsule arabique un arbitre dont la langue maternelle est la même que la sienne. Fedayi San a aussi rencontré le Fribourgeois Ezgjan Alioski (Al-Ahli), formé à YB, passé par Schaffhouse, Lugano et Leeds avant d'être transféré en Arabie saoudite en 2021.
L'offensive de l'Arabie saoudite dans le football est vue d'un œil critique en Occident. Non seulement parce que les sommes démentielles que le pays verse faussent le marché.
Fedayi San a entendu ces critiques, mais pour lui, les matchs en Arabie saoudite sont un travail procuré par l'ASF et la fédération saoudienne de football. Rien de moins, rien de plus. «Je m'occupe de football, pas de politique», tranche le sifflet.
Les Saoudiens font venir des arbitres étrangers dans leur pays parce qu'ils veulent profiter de leur savoir-faire. Ils paient les vols et l'hôtel, comme l'UEFA le fait pour les convocations internationales.
C'est à peu près le même montant que pour un match de Ligue des champions, et nettement plus qu'en Suisse, où les hommes en noir perçoivent 1250 francs pour un match de Super League.
Fedayi San affirme qu'il aime voyager en Arabie saoudite, mais que l'argent n'est pas son facteur de motivation. Pour le prouver, il prend comme autre exemple un séminaire VAR de deux jours en Géorgie, qu'il a récemment tenu. Rémunération journalière? 200 francs.
En Arabie saoudite, l'Argovien doit gérer les matchs différemment: il ne peut pas juger les gestes de la même manière et ne doit pas, par exemple, sortir un carton tout de suite, sous peine que la partie dégénère rapidement.
Quant à savoir s'il retournera dans le pays du Golfe cette saison, ça dépendra d'une éventuelle invitation. Et aussi de l'ASF, qui ne libère ses arbitres que si son propre calendrier le permet.
Adaptation en français: Yoann Graber