La voix à l'autre bout du fil est agitée: «Que les choses soient claires, cet appel n'a jamais eu lieu! Mais ça vaudrait la peine d'enquêter un jour sur cette affaire...»
De quoi s'agit-il? La semaine dernière, la télévision publique suisse alémanique SRF – l'équivalent de la RTS outre-Sarine – a lancé en grande pompe The Pressure Game, une série documentaire sur l'équipe nationale suisse de football, axée sur les coulisses de cette dernière. Elle est aussi diffusée sur la RTS.
«Des images exclusives du vestiaire! La Nati plus proche que jamais! A voir gratuitement sur tous les canaux de la SRF»: la directrice de la chaîne, Nathalie Wappler, et le directeur général de la SSR, Gilles Marchand, n'ont pas manqué de faire l'éloge de la série lors de la première, dans un cinéma de Zurich.
Pourtant, dès le début, des voix critiques se sont élevées autour de ce documentaire sur la Nati. L'Association suisse de football (ASF) était souveraine pour décider quelles images devaient être montrées ou non. Du coup, The Pressure Game n'est pas un documentaire purement journalistique, il est aussi une opération de comm'. D'où la crainte que les pensées critiques n'aient pas leur place ou que les scènes défavorables pour l'image de l'ASF soient tout simplement censurées.
Au téléphone, la voix de notre interlocuteur est toujours autant agitée. Elle donne une info croustillante: «Alors que les joueurs et la fédération ont laissé les mains libres à l'équipe de tournage, c'est justement la SRF elle-même qui a veillé à la censure.» Notre source détaille:
Le sujet est brûlant. CH Media, le groupe auquel appartient à watson, confronte les personnes directement concernées et s'entretient avec de nombreuses sources bien informées. Un constat s'impose rapidement: ceux qui savent quelque chose préfèrent ne pas voir leur nom apparaître dans les médias.
On lance un coup de fil à Simon Helbling, le réalisateur de The Pressure Game. Alors, est-il vrai que Sascha Ruefer a fait supprimer des scènes après coup? La réponse d'Helbling:
Lorsqu'on lui fait remarquer que c'est tout de même un peu extraordinaire d'obtenir d'abord le feu vert pour une version et de devoir ensuite procéder à de nouvelles adaptations, il botte en touche: «Je ne souhaite pas commenter cela».
Et le principal intéressé, le commentateur des matchs de la Nati pour SRF, Sascha Ruefer, qu'en dit-il? «C'est très simple: tout va bien! L'équipe du documentaire a fait un bon travail. Je ne souhaite pas commenter tout le reste.»
C'est désormais au tour de Susan Schwaller, rédactrice en chef de SRF Sport, d'être contactée par nos soins. Est-il vrai que la chaîne a d'abord validé une version avant de demander des modifications?
Une personne bien informée raconte ce qu'il s'est passé: selon elle, Sascha Ruefer a été interrogé en détail sur le capitaine Granit Xhaka. Le commentateur a décrit le cheminement de sa pensée, a parlé de la valeur exceptionnelle de Xhaka en tant que footballeur, lui a attesté «l'ADN d'un champion» qui se distingue de la moyenne des Suisses sages et corrects.
Un court extrait aurait été sorti de cet interview et repris dans un autre contexte ailleurs dans le documentaire, donnant ainsi une connotation raciste aux propos de Ruefer. Le commentateur de la SRF voulait en fait décrire la personnalité de Xhaka en tant que footballeur. Mais dans la version qui a été montrée à l'homme de TV, on avait l'impression que celui-ci parlait de Xhaka comme personne et non comme footballeur.
Restent plusieurs questions: l'action de la SRF est-elle de la censure ou non? Et la chaîne doit s'interroger: est-il intelligent d'acheter un produit dont on ne tient pas les ficelles de la création? Et le risque n'est-il pas trop grand de diffuser des images qui ont été produites dans le cadre d'une opération de communication?
Adaptation en français: Yoann Graber