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En Suisse, on n'est pas des Riolo: «La polémique ne passe pas»

En Suisse, on n'est pas des Riolo: «La polémique ne passe pas»
Daniel Riolo, chroniqueur vedette de RMC. capture After foot Rmc

En Suisse, on n'est pas des Riolo: «La polémique ne passe pas»

Le chroniqueur français Daniel Riolo est devenu une star en traitant des footballeurs de pipes et de tocards. Ses homologues suisses l'envient (vaguement) et n'oseraient pas (surtout).
15.03.2023, 18:47
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Samedi dernier, Daniel Riolo était l'invité de «Quelle Epoque» , non en tant que simple chroniqueur ou journaliste, mais comme «leader d'opinion», selon la description de France 2. Drôle d'époque, en effet, où ceux qui parlent le plus fort sont les meilleurs...

La spécialité de Riolo: la critique. Son domaine: le football. Si une partie des Français estime qu'il fait commerce de l'esclandre et de la haine bon marché, une autre partie admire son courage et sa franchise.

Pourquoi néanmoins les honneurs de «Quelle Epoque», bastion des poètes maudits et des reporters de guerre? Parce qu'après le nouvel échec du PSG en Ligue des champions, Daniel Riolo a eu une vision: bazarder «toutes ses starlettes», d'un Sergio Ramos grabataire, «cramé et fini», à un Messi en claquette-chaussette.

Ses souffre-douleurs patentés, Neymar et Verratti, ceux qu'ils appellent les «joueurs de square», avaient déjà reçu son anathème. Il y a longtemps que Neymar «devrait être renvoyé au Carnaval de Rio», Verratti «à Pescara pour manger ses petites brochettes, se balader au bord de la mer, voir ses poufs et fumer ses clopes». Conclusion de l'exégèse: «Ras le cul de tous ces tocards.»

«On n'oserait pas»

Puisque nous avons adopté la tarte tatin et le chauvinisme français (si, si... Ecoutons-nous quand nous parlons de ski), pourquoi n'existe-t-il pas de Riolo romand? Est-ce un problème d'offre ou de demande? Ou est-ce seulement quelque raideur puritaine?

Consultant de la RTS depuis plus de dix ans, Léonard Thurre admet que «Riolo n'est pas vraiment ma came». Complet cintré, vocabulaire soigné, l'ancien attaquant confesse une certaine idée de l'élégance: «Je suis davantage dans la nuance, et surtout, je ne m'acharnerais pas sur un joueur comme Riolo avec Verratti. Je suis profondément attaché à la notion de respect. Et puis, un peu d'éloge ne ferait pas de mal à ces émissions, en particulier à Riolo. On dirait que ça lui fait mal d'être positif.»

Ses confrères écoutent, observent, mais gardent leur distance avec cette France qui vitupère (à ne pas confondre avec langue de vipère). Même Gabet Chapuisat le dit: «Riolo va trop loin.» Même lui, le cicéron du football romand et de Blue Sports, le plus virulent d'entre tous, oeil rieur et tacle facile. «J'apprécie les débat de la chaîne L'Equipe, même si les émissions peuvent passer en un seul match du chauvinisme au catastrophisme; et vice-versa. Mais Riolo... En Suisse romande, on n'oserait pas. Cette liberté de ton ne passerait pas», sourit l'ancien international et entraîneur.

Gabet Chapuisat.
Gabet Chapuisat.blue sports

Le monde du hockey, avec ses rivalités régionales et ses inimitiés héréditaires, est plus sensible encore à la critique. Voix connue et respectée, Philippe Ducarroz, ne cache pas que son podcast «Le Premier Bloc» suscite sa part de controverse. Mais il revendique un style fondé sur la démonstration et l'information exclusive, non sur la satyre.

«On donne moins notre avis que des infos. Quand je balance un constat et que ça crée la polémique, j'ai toujours un «inside», un argument à dégainer. En clair, j'ai préparé mon deuxième effet kiss cool. Toutes nos prises de position s'appuient sur des éléments factuels.»

Un public très différent, quoique...

Puisque la Suisse romande regarde beaucoup son voisin, que ses références sont inconsciemment françaises, comment expliquer que la polémique, le goût du verbe haut et fort, n'y fasse pas davantage d'émules? Léonard Thurre veut croire à une immunité culturelle: «J'ai l'impression que certaines émissions françaises n'attaquent pas toujours le joueur mais l'homme. Avons-nous un public pour ce type de commentaires? Les Romands sont-ils ouverts à la critique outrancière? Il faudrait essayer, bien sûr, mais j'en doute.»

«Moi, je suis sûr que non, s'esclaffe Gabet Chapuisat. Ce style ne correspond pas à notre mentalité. En Suisse, tout le monde il doit rester beau, tout le monde il doit rester gentil. Je suis l'un des plus virulents et, reconnaissons-le, je ne suis pas forcément bien vu.»

Philippe Ducarroz est moins catégorique: «Je trouve une partie de la presse française assez malsaine, attachée à la polémique pour la polémique. Mais qui nous dit que les Romands sont différents? A titre personnel, je trouve que l'affaire Dittli fait l'objet d'un traitement médiatique "à la française", avec une surenchère dans le chipotage et la stigmatisation. Je suis étonné.»

Certes, l'époque est complexe - on en ferait une émission. Il s'agit de se positionner face à divers courants d'influence, des particularités régionales à un paysage audiovisuel globalisé, d'un public branché mais qui peut disjoncter à une génération moins connectée, des réseaux sociaux à la bonne vieille télé de nos ancêtres. Léonard Thurre propose une solution toute simple: «Rester authentique. Ne pas jouer un rôle, ne pas en faire des tonnes. Pour ma part, je préfère l'analyse qui permet de comprendre une situation, qui fait avancer les choses.»

Rester authentique, c'est aussi le mantra de Gabet Chapuisat, mais dans un tout autre style: «Je dis ce que je pense. Quelle est l'alternative? La langue de bois? Les banalités? Mais j'en suis incapable! Ce n'est pas moi.»

Pas de censure (l'autocensure suffit)

Gabet Chapuisat «ne reçoit aucune consigne» de la chaine, nous jure-t-il. «On nous demande seulement de ne pas dépasser les bornes.» Comment savoir où est la borne? «Je sais en tout cas que je ne peux pas aller aussi loin que Riolo», rit-il.

«Aucune consigne éditoriale à la RTS, affirme Léonard Thurre. Le chef des sports, Massimo Lorenzi, organise des workshops et nous donne des conseils sur la manière de nous tenir. Mais il ne nous demande jamais de créer du buzz.»

Léonard Thurre
Léonard Thurre.Image: RTS

Pour être son propre patron, Philippe Ducarroz laisse libre cours à sa personnalité affirmée, volontiers taquine. Mais s'il se définit comme une grande gueule, il essaie de passer en finesse: «J'utilise volontiers le deuxième degré et la question qui picote.» Son podcast est probablement l'exercice oratoire qui, en Suisse romande, se rapproche le plus des grands-messes françaises que sont l'«After Foot RMC», «L'Equipe du Soir» ou «Le Canal Football Club».

«On parle d'émissions mais en réalité, ce sont davantage des talk-shows», relève Léonard Thurre. Parfois, Gabet Chapuisat s'y sent un peu seul: «Je n'ai pas beaucoup de gens autour de la table avec lesquels m'engueuler», semble-t-il regretter.

Course à l'audience
vs «y aller mollo»

Un footballeur suisse autrefois actif en France explique (anonymement, par crainte des représailles) que les consultants «reçoivent des pressions. Ils sont poussés à faire du buzz. Pour avoir parlé avec certains d'entre eux, je sais qu'ils sont jugés, non seulement sur les audiences, mais sur le nombre de followers.» Des grognards comme Rothen, Nasri ou Dugarry, sont payés cher pour gagner des parts de marché dans un espace médiatique saturé. «En Suisse, sans méchanceté, on ne ressent pas une concurrence folle entre les médias et les journalistes», note notre footballeur.

Ducarroz rappelle une anecdote du 11 septembre 2001: «Quand le présentateur du 20 Heures de TF1 a vu le premier avion perforer une tour du World Trade Center, il s'est écrié: "Ô génial!" Il ignorait que les caméras tournaient et, forcément, un collègue charitable a fait circuler les images. C'est cynique. Mais cette anecdote dit beaucoup de certains réflexes journalistiques...»

Les plus virulents?
Le FC Sion et le LHC

Léonard Thurre persiste à penser que les chroniqueurs romands ne sont pas des Riolo. Mais que penser de leur public? Comment exclure qu'il n'y ait pas un créneau pour l'ignominie lorsque, sur les forums et les réseaux, les commentaires dépassent tout ce qu'un journaliste (fût-il parisien) pourrait proférer.

Au fil de ses interventions sur «Léman Bleu» et «Planète Hockey», l'entraîneur Laurent Perroton s'est fait de nouveaux «amis», lui aussi. Il ne cache pas une certaine surprise devant l'imagination de certains hatters. «Je sais que les journalistes en ont l'habitude mais moi, je découvre. Il faut un petit temps d'adaptation.»

Philippe Ducarroz cite plus particulièrement les fans du LHC: «Il a suffi de deux podcasts pour que nous soyons catalogués anti-lausannois à vie. Alors que nous ne le sommes vraiment pas. Notre chance, c'est que nos infos nous donnent des munitions pour défendre notre crédibilité. D'ailleurs, j'en ai quelques-unes en réserve si nous sommes à nouveau attaqués...»

Au LHC, il y en a pour tout le monde.
Au LHC, il y en a pour tout le monde.Image: sda

Au fil des décennies, les fans lausannois ont développé un sentiment de persécution tenace, ou comme le disait un ancien journaliste de hockey, Gilbert Puidoux: «Le simple fait d'écrire que le LHC a perdu est déjà considéré comme de la polémique par certains supporters. Si tu ajoutes le score, ça devient de l'acharnement.»

Au football, ce serait plutôt le FC Sion. «A chaque fois que je l'astique, je me fais descendre», pouffe Gabet Chapuisat. L'ancien défenseur ne craint pas les attaques: «Mes copains me trouvent formidables, mais sinon, j'en prends souvent plein les oreilles. Est-ce que ça me perturbe? Je suis un personnage public, ça fait partie du jeu. Et à mon âge, que voulez-vous que ça me fasse? (éclat de rire).»

Doux ennui

«Les désaccords sont généralement exprimés sans méchanceté», évalue Léonard Thurre. Heureuse Helvétie, où nous pouvons encore deviser en paix. Mais combien de temps? «Nous vivons dans une société du buzz et de la pute à cliques, pour reprendre le jargon du milieu, conclut Thurre. Les jeunes romands grandissent avec cette culture, eux aussi; avec les clashs et les cliques. Sont-ils demandeurs de polémiques? Je n'ai pas la réponse, pour être honnête. Quand Verratti perd deux ballons, je sais des gens sont impatients d'entendre Riolo. On dira peut-être que je suis trop lisse mais cette façon de commenter ne sera jamais la mienne.»

Daniel Riolo avec sa compagne Géraldine Maillet, chroniqueuse dans TPMP.
Daniel Riolo avec sa compagne Géraldine Maillet, chroniqueuse dans TPMP.

A l'esprit critique, Gabet Chapuisat ajoute un esprit pratique: «Pour être écouté, il faut marquer les esprits. Ceux qui prétendent le contraire sont imbus de leur personne. Moi, je ne suis pas différent. Je ne vois pas l'intérêt d'écouter des banalités.»

Philippe Ducarroz est assez d'accord: «Les Romands disent qu'ils n'aiment pas la polémique mais ils sont les premiers à lire les gros titres.» A partir de ce postulat, combien sont-ils à écouter les émissions de Riolo, jalousement, secrètement, dans le fantasme un peu masochiste d'une chronique romande plus vicieuse et cruelle?

La gifle de Neymar à un fan rennais
Video: twitter
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