Les matchs de Ligue des champions en Suisse romande sont aussi rares que les chefs d'Etat qui s'affichent cigare et bière à la main lors d'un événement public. Logique donc que le duel entre le Servette FC et les Glasgow Rangers ce mardi (2-1 pour les Ecossais à l'aller) suscite un engouement inhabituel. C'est le cas à Genève, où le stade est d'ores et déjà à guichets fermés – une première depuis son inauguration en 2003 – et les terrasses exceptionnellement autorisées à retransmettre la rencontre.
Mais qu'en est-il de cet enthousiasme ailleurs en Romandie? Histoire de se faire une petite idée, on est allé poser la question à des fans de Sion, Lausanne et Xamax, rivaux historiques des Servettiens.
On pouvait s'attendre aux réactions les plus anti-Grenat – envie de voir les Genevois se faire éliminer ou désintérêt total – du côté du Valais, le «derby du Rhône» étant sans doute le plus explosif en Suisse romande. Michael Grange, fan du FC Sion, balaie ces expectatives. «Je serai entièrement derrière Servette», tranche d'emblée le trentenaire. Pour lui, les exploits des Grenat sur la scène européenne «peuvent servir de locomotive à tout le foot romand».
Le Sédunois y voit un modèle pour les clubs de ce côté-ci de la Sarine, dont beaucoup connaissent ou ont connu de grosses difficultés comme les Servettiens jadis (qui évoluaient encore en deuxième division il y a quatre ans). «C'est quand même incroyable ce qu'ils réalisent avec un si petit budget!», applaudit-il. «Et puis ça fait du bien de voir une autre équipe suisse que Bâle ou YB briller en Coupe d'Europe.»
Maxime Kissou, 29 ans, est, lui, un fervent du Lausanne-Sport. Comme Michael Grange, il a suivi le parcours européen de Servette derrière sa TV, qu'il allumera à nouveau ce mardi soir. Le Vaudois n'avalera pas son papet de travers si les voisins du bout du lac réussissent la prouesse d'éliminer les Rangers. Loin de là!
Là encore, il y va des bénéfices pour le foot romand dans son ensemble. Son rayonnement à l'international, bien sûr, mais aussi les perspectives. «Beaucoup de footballeurs pros expliquent qu'ils ont eu, enfant, le déclic pour ce sport grâce à un événement marquant», observe le Lausannois, «alors avoir la Ligue des champions si près de la maison et pouvoir aller voir des matchs de ce niveau au stade a de quoi créer une émulation et peut-être certaines vocations.»
Des étoiles dans les yeux, Pierre-André Magne s'en mettrait aussi volontiers quelques unes en assistant au Stade de Genève à des rencontres de phase de poules de la reine des compétions continentales. Pourtant, le soixantenaire est un grand fan de Neuchâtel Xamax, dont il préside le groupe de soutien «Club des 200» depuis 30 ans. Mais dès qu'il y a un club suisse en Ligue des champions, les rivalités régionales passent au deuxième plan. «Je suis de tout cœur avec Servette», assure le Xamaxien. Il entretient d'ailleurs des relations amicales avec des fans grenat.
Au point de porter un maillot ou une écharpe de Servette s'il assiste à un match de Ligue des champions des Grenat? Le Neuchâtelois se marre. «Là, on pousse peut-être le bouchon un peu loin!»
La réponse à la même question est beaucoup plus catégorique chez Michel Zendali. «Vous rigolez?!», s'exclame l'ancien journaliste de la RTS, fidèle du Lausanne-Sport. Malgré le ton en apparence sec, on devine un sourire et pas mal de recul au bout du fil. C'est certain, le Lausannois (70 ans) ne voue pas une haine viscérale au rival genevois. Mais un désamour, oui. Suffisant pour qu'il ne souhaite pas une qualification contre les Rangers. Michel Zendali, pas réputé pour sa langue de bois, se lâche:
Il se permet même une petite pique envers son ancien employeur, dont le siège est à Genève. «La RTS en fait des caisses sur cette campagne européenne de Servette, elle est insupportable sur le sujet!» Il se rappelle d'ailleurs des «nombreux chambrages avec Massimo Lorenzi» dès qu'il y avait un derby lémanique.
Pour l'ex-journaliste, c'est d'ailleurs ces rivalités, tant qu'elles restent bon enfant, qui font la beauté du football. «Sinon, ça devient trop plat». C'est donc pour une raison presque philosophique qu'il ne soutiendra pas les Genevois ce mardi soir. Même si, au fond, une qualification des Grenat ne l'embêterait pas plus que ça. «Ça me permettrait d'aller voir des belles équipes contre eux à Genève en Ligue des champions!», se marre-t-il.
Le papet devrait donc passer sans trop de souci même si Chris Bedia, Steve Rouiller et Cie trouvent le chemin des filets écossais et se qualifient pour les barrages.