Après douze ans de préparation de la Coupe du monde de football la plus controversée de l'histoire, la star de la K-Pop, le chanteur de BTS Jung Kook a finalement donné le coup d'envoi du tournoi, dimanche 20 novembre, dans une interprétation survoltée de son nouveau single Left and right.
Pour certains supporters ou observateurs, ce «show» a probablement marqué un retour à la normale: après des années d'agitation, place au football! Mais sous cet air, apparemment inoffensif, de musique pop, couvent en réalité de féroces batailles géopolitiques.
Jung Kook n'est pas seulement un beau et jeune chanteur à la popularité mondiale. Ses camarades du groupe BTS et lui sont sous contrat avec le groupe automobile sud-coréen Hyundai-Kia, lui-même sponsor de la Fédération internationale de football (Fifa), qui a largement mis en avant la K-Pop dans le cadre de cet accord.
Ce n'est ni une simple coïncidence, ni même une simple décision commerciale. Depuis des années, le gouvernement sud-coréen poursuit en effet une stratégie visant à construire et à projeter son «soft power» («puissance douce»). Non seulement par la K-Pop et les voitures, mais aussi par des films oscarisés comme Parasite, et des séries Netflix comme Squid game.
La Corée du Sud n'est pas un cas isolé. Les autres sponsors de la Fifa ne sont plus depuis longtemps de simples vendeurs de hamburgers et de sodas occidentaux. Certes, les géants américains Coca-Cola ou McDonald's figurent en bonne place parmi les partenaires de l'événement, mais les organisateurs ont aussi pu compter pour cette édition sur le soutien de marques qataries ou chinoises : la compagnie aérienne Qatar airways, propriété de l'Etat, ou encore des sociétés d'électronique comme les chinoises Hisense et Vivo.
Aujourd'hui, les principaux sponsors de la Fifa sont donc susceptibles d'être de grandes entreprises originaires de pays désireux de profiter de la portée mondiale du ballon rond. Qatar airways, basée à Doha, vend bien sûr des billets d'avion, mais la compagnie joue également un rôle central dans les tentatives du gouvernement qatari de faire de l'aéroport international de Hamad un centre de transit aérien mondial majeur.
Dans le même temps, Qatar airways constitue un instrument de «soft power», comme nous le relevions dans un article de recherche récent, qui transmet au public mondial des signaux sur l'identité du Qatar: ses valeurs et ce qu'il aspire à être. Au cours de la dernière décennie, en effet, elle a remporté sept fois le prix de la «meilleure compagnie aérienne de l'année». Comme l'illustrent ses huit nouveaux stades flambants neufs ou le Paris Saint-Germain, propriété du Qatar, voici une nation déterminée à raconter au monde une histoire particulière sur elle-même.
Quant à la Chine, bien que ses progrès sportifs et industriels aient quelque peu marqué le pas pendant la pandémie, elle se présente à la Coupe du monde avec une importante écurie de quatre sponsors (Wanda et Mengniu en plus des deux précédemment cités). Ici, le gouvernement chinois ne veut pas seulement étendre l'influence de la Chine dans le monde, mais aussi se positionner pour organiser un prochain Mondial de football.
En marge des principaux sponsors de l'événement, il y a souvent eu, historiquement, un groupe d'aspirants au tournoi qui se livrent à un «marketing d'embuscade». Il s'agit là d'essayer de tromper les consommateurs en leur faisant croire que leurs marques sont associées à la Coupe du monde alors qu'elles ne le sont pas et n'ont rien versé à l'organisateur (un contrat sur quatre ans avec la Fifa coûte environ 100 millions de dollars).
Parmi les «embuscades» célèbres, on se souvient notamment des campagnes provocatrices de Bavaria Beer lors des Coupes du monde 2006 en Allemagne et 2010 en Afrique du Sud. La marque hollandaise avait notamment équipé les supporters des Pays-Bas (et notamment des supportrices légèrement vêtues) de tenues oranges affichant le nom de la marque, qui étaient ensuite filmés dans les stades. Ce coup de publicité, qui a conduit à des arrestations et des menaces de poursuite judiciaire, avait attiré l'attention du monde entier, si bien que Bavaria avait davantage fait parler d'elle que de la bière officielle de la Fifa, sa concurrente Budweiser.
Aujourd'hui, même la pratique du marketing d'embuscade semble s'être géopolitisée. Les autorités de Dubaï ont ainsi tenté de détourner l'attention portée sur le Qatar avec leurs campagnes Dubai x Benzema et Dubai x Salah. L'émirat voisin organisera également la Dubai Super Cup entre des cadors du foot européen comme Liverpool, l'AC Milan et l'Olympique Lyonnais, du 8 au 11 décembre. En même temps que la Coupe du monde chez le rival qatari?
Dubaï n'est pas le seul à essayer de nous faire oublier le Qatar en diffusant des messages concurrents aux supporters et aux consommateurs. Dans la bière, c'est cette fois-ci la multinationale de la bière et chaîne de brasseries BrewDog qui tentent de s'ingérer dans les affaires de la Fifa avec une campagne «anti-Coupe du monde».
Sur une série de panneaux publicitaires provocateurs, BrewDog fait référence à l'autocratie, aux violations des droits de l'homme et à la corruption du Qatar, pour interpeller les buveurs de bière sensibles à l'organisation contestée de l'événement par cet émirat.
Si l'objectif final reste le même pour BrewDog – faire des bénéfices en vendant de la bière – l'entreprise contribue néanmoins à la transformation de la publicité et du sponsoring, qui passent du simple domaine marketing à la scène géopolitique.
De la même façon, l'équipementier sportif Hummel a décidé de masquer son nom et ses logos, ainsi que l'insigne de l'association danoise de football, de son équipement. Le tout pour protester contre le traitement réservé aux travailleurs migrants au Qatar et contre le déni des droits des communautés LGBTQ+ dans ce pays.
Dans la déclaration de mission de l'entreprise, Hummel souligne son engagement en faveur de la «danoisité», c'est-à-dire des valeurs d'un pays qui a fermement condamné le Qatar. Lorsque l'équipe nationale danoise entrera sur le terrain, elle portera donc des maillots qui remettent directement en question les normes et les valeurs dominantes du Qatar, traditionnellement conservateur.
Il ne fait aucun doute que le football, ses sponsors et le marketing qui les accompagne ne servent plus seulement à s'amuser. Il y a désormais des buts géopolitiques à marquer.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original