«T’aurais dû courir avant!» La phrase assassine d’un spectateur de la tribune ouest de Tourbillon, ponctuée par un nom d’oiseau, est destinée à Dennis Iapichino. Le latéral sédunois, entré à la 89e, vient de commencer son décrassage au milieu de la pelouse avec les autres remplaçants.
Quelques instants plus tôt, leurs coéquipiers sont rentrés au vestiaire sous les huées du public après la défaite 2-0 contre le Stade Lausanne Ouchy. C’était déjà le cas à la mi-temps, alors que les Lausannois menaient 1-0.
Même après le coup de sifflet final, les Sédunois n’en avaient pas fini avec la colère de leurs fans. Ils ont rejoint leur car sous escorte policière, et le défenseur Nathanaël Saintini, pris à partie par des fans, en serait venu aux mains sans l’intervention de quelques collègues et des forces de l'ordre.
En cause, notamment: un commentaire – selon Blick – sur son régime alimentaire, lui qui aurait osé commettre l'horrible péché d'aller manger dans un fast-food après la défaite contre Lucerne jeudi dernier. Le burger et les frites étaient alors déjà restés en travers de la gorge de certains supporters. Une fois le Guadeloupéen calmé et monté dans le véhicule, ce dernier a quitté le stade sous les sifflets et les pouces baissés de la centaine de badauds autour.
Pourtant, les joueurs du FC Sion ne méritaient pas pareille hostilité. Bien sûr, le public valaisan a le droit d'être frustré. C'est vrai, son équipe n'a pas fait un bon match. Mais cette fois, elle n'a pas triché. Tous les Sédunois alignés ont couru, se sont battus, n'ont pas baissé les bras. Leur état d'esprit a été irréprochable. C'est pourquoi le chant du Gradin nord, entendu à la mi-temps et plusieurs fois quand le score était de 0-2, dont les paroles sont «Mouille le maillot ou casse-toi!», sonnait particulièrement faux. Oui, la blanchisserie de Tourbillon a eu du travail samedi soir, et elle n'a pas dû attendre le décrassage de Iapichino et ses coéquipiers.
Encore une fois, la colère du public de Tourbillon est légitime par rapport à cette saison catastrophique. Il a le droit de critiquer des joueurs qui se sont montrés trop souvent avares dans leurs efforts ou des dirigeants dont la gestion sportive laisse à désirer (ne serait-ce que parce qu'avec le prix déboursé pour le fantomatique Balotelli – encore absent samedi –, Constantin aurait pu s'offrir plusieurs cracks de Super League). Simplement, ce n'était pas le moment.
D'abord parce que huer ce Sion-là, c'est tirer sur une ambulance qui, samedi, a appuyé sur l'accélérateur pour tenter de rejoindre l'hôpital le plus vite possible. Oui, Sion est malade: ses imprécisions techniques (surtout dans les 30 derniers mètres adverses et de plus en plus nombreuses après le 0-2), son manque d'inspiration en attaque et ses largesses défensives face au SLO ont été les symptômes d'une équipe en manque évident de confiance. Mais pas ceux de joueurs qui ont renoncé à se battre. Un malade, on en prend soin. On ne l'achève pas.
Ensuite, dans une situation aussi critique qu'un barrage contre la relégation, l'union sacrée est indispensable. Ici, on peut faire le même reproche au public sédunois qu'aux ultras du Lausanne-Sport l'année passée ou à ceux de Xamax cette saison qui déployaient, comme banderole principale, un message demandant à leur dirigeant respectif (Souleymane Cissé et Jean-François Collet) de «se casser».
Il serait injuste de faire croire que les fans valaisans n'ont fait que s'en prendre à leur équipe samedi: les ultras ont aussi longuement chanté pour l'encourager, même quand elle était menée de deux buts. Mais voilà, dans un monde idéal, c'est ce que les supporters sédunois auraient dû faire tout le long de ce match aller.
Parce que, contrairement à ce que laisse penser la banderole «6 saisons à toucher le fond, la relégation comme consécration» déployée en fin de partie dans le Gradin nord, la culbute n'est pas actée. Même si on voit mal les Sédunois s'imposer à la Pontaise mardi face à cette formation du SLO – dans laquelle ont notamment brillé le virevoltant technicien Liridon Mulaj et l'impressionnant milieu défensif Giovani Bamba, les deux buteurs –, ils ont encore un espoir de survie.
En les conspuant pareillement, son public a déjà commencé à creuser leurs tombes. Or, un match raté ou un fast-food n'a, jusqu'à preuve du contraire, jamais tué un homme (ni un club).